STARDUST

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Télécharger le fichier PDF

Année 2001

Paru dans Che Vuoi ? N° 15 «  La formation des psychanalystes »,
Ed L’Harmattan, septembre 2001

STARDUST français : poussière d’étoile.1
OU PEUT-ON  FORMER SANS FORMATER ?

Chaque fois qu’il est question de la formation du psychanalyste c’est toute la psychanalyse qui défile.  Que dire de la formation des analystes au sein de la Fédération des Ateliers de Psychanalyse (FAP) ? La Fédération est née après la dissolution de l’EFP.  Après l’autodissolution d’Entre-Temps, un certain nombre de ses membres a souhaité poursuivre le travail ensemble autour de quelques idées communes. Très  vite d’autres analystes issus d’autres groupes se sont joints à ce premier noyau.

Depuis les débuts de la FAP (1982) jusqu’à ce jour, aucune formation  instituée n’est proposée et il n’existe dans ses statuts aucune règle de formation institutionnelle. Cela ne signifie pas qu’on ne s’y forme pas. Le vocable même de  formation n’y est pratiquement jamais utilisé. Un C.A. élu par une A.G. désigne en son sein un bureau responsable de la bonne marche de l’institution. Sa fonction de  « gestion » des rencontres, de la fabrication de la revue Epistolettre, et de l’organisation des « Journées » annuelles n’exclut évidemment ni la réflexion ni le va  et vient entre les affaires pratiques et des idées issues de discussions plus générales lors de « Forums ». Un seul atelier dépend directement du CA qui charge  une ou deux personnes d’en être responsable : atelier appelé « Boîte à Outils », à la fois atelier d’accueil (non obligatoire) pour les nouveaux venus et lieu de rencontre  entre anciens et nouveaux. Tous les autres ateliers, allant du petit groupe fermé au séminaire ouvert sont entièrement sous la responsabilité de leurs initiateurs. Il n’y a  pas d’organisation d’en haut. Comment appeler ce que font les participants réguliers de ces activités ? Formation si l’on veut, si l’on aime cette façon de voir.

À ses débuts (1982) et pendant environ une dizaine d’années, la Fédération était formée par trois associations indépendantes :

1° Les Ateliers, groupes de travail formés de personnes se choisissant librement autour d’un thème, clinique ou théorique, ou de séminaires organisés par  une personne en son propre nom. Chaque atelier avait un répondant et l’ensemble de ses membres élisait un bureau.

2° Collectif Evénements de Psychanalyse (CEP) : formé de huit personnes proposant et organisant des événements ponctuels, dont ils étaient responsables et  du contenu et de l’organisation matérielle. Ce sont ces huit personnes qui ont de fait été à l’origine des premiers textes fondateurs de la FAP2. Le CEP s’est auto-dissout  après quelques années de fonctionnement.

3° Une revue Espaces avec un comité de rédaction autonome. Espaces  s’est « défédérée » pour finalement disparaître.

Reste aujourd’hui l’ancienne association des Ateliers, devenue Fédération  des Ateliers de Psychanalyse (FAP) qui s’est étoffée par rapport à la structure de départ tout en gardant le signifiant « Fédération » tel que je viens d’en esquisser le  fonctionnement.

Il n’y a pas de sélection pour entrer dans la FAP. Il suffit de se présenter à deux personnes préposées à l’accueil qui à leur tour ont la charge de présenter la  Fédération, son histoire et ses tendances générales au nouveau venu.

Quelques citations des premiers « fondateurs » avant de poursuivre en mon  nom seulement. « Quel est le travail que j’espère d’une rencontre d’analystes et que je ne pourrais faire seul, ailleurs ou autrement ? […] À nos erres, il faut une aire. Et  comme à tout jeu, il faut des règles (si l’on veut éviter la griserie de la Norme ou la déroute de la Bonne Volonté) je propose de poursuivre l’idée de la psychanalyse  comme contrat de séparation (en insistant sur chaque terme), par un réseau de voix distinctes, engendrant en ses nœuds des théories locales, des espaces de  validité de formes co-respondantes » Lucien Mélèse 20 Oct. 1982 (in les Cahiers des Ateliers N° 1).

Je cite encore : « En cette fin de 1982 où, sur les décombres de l’ex-EFP, fleurissent les institutions psychanalytiques qui tentent chacune de continuer tel ou  tel trait particulier, nous sommes quelques-uns peu désireux d’en tenter l’expérience et ce, sans doute, pour des raisons extrêmement diverses. Qu’ils  s’autorisent à pratiquer et donc s’exposent à transmettre la psychanalyse ou qu’ils s’interrogent à ce sujet, beaucoup d’entre nous étaient insatisfaits des solutions  institutionnelles apportées par l’EFP et sont actuellement opposés à la nomination au titre de psychanalyste par quelque organisme que ce soit4. Il n’empêche que  nous souhaitons des lieux de rencontre où faire connaissance, sans quoi toute reconnaissance est impossible dans la réalité sociale… […]

Nous sommes les restes vivants et parlants des institutions psychanalytiques comme les rêves, les actes manqués et les symptômes sont,  depuis Freud, les restes des sciences dites humaines. Tentons donc, si nous sommes freudiens, les formules variées de la libre association. » (Pierre Delaunay Cahier des Ateliers N° 1)
Si la structure globale s’est simplifiée aujourd’hui par rapport à celle  trifonctionnelle des années 80, l’esprit  paraît tout à fait actuel, concernant le refus  de toute nomination ainsi que la considération des théories comme essentiellement locales. Mis à part Freud, référence majeure, les Ateliers ne se prétendent pas  spécifiquement héritiers de Lacan, au grand étonnement de beaucoup, il est une référence parmi d’autres, au même titre que Ferenczi et la descendance de l’école  hongroise, Abraham-Torok, ainsi que Winnicott ou Searles, sans oublier certains ouvrages d’auteurs contemporains, et last but not least nos propres travaux  « formateurs » ou non.

Il ressort de ces quelques traits que le fait de n’avoir ni dogme de référence,  ni théorie unique, ni titularisation, ni critères de sélection pour faire partie de l’institution, bref qu’il s’agit d’un refus assumé de « faire école » et d’avoir des « élèves »,  a comme conséquence que la question de la formation dès lors qu’elle est évoquée de manière instituée s’apparente pour beaucoup à un passé révolu, un vieux  monde devenu sans intérêt.

Il n’empêche qu’insistent sous d’autres formes et pour chacun à la première  personne les questions concernant la psychanalyse aujourd’hui, ses concepts fondamentaux, la caducité de certains concepts et la nécessité d’en créer de  nouveaux, la finalité de l’analyse et comment concevoir les demandes qui changent de forme sinon de contenu, comment y répondre et in fine qu’est ce que cela  signifie « être analyste ». Questions propres à toute formation en somme  et quant à leur teneur bien au-dessus de ce que peut s’autoriser un vrai élève.
Or toutes ces questions laissent à mes yeux de côté celle qui est en amont de toute considération sur la formation elle-même : y a-t-il un principe démocratique  qui pourrait prévaloir en psychanalyse, en d’autres termes est-ce que l’exercice de la psychanalyse peut être possible pour tous, pourvu qu’ils aient reçu une bonne  formation ?

Je dis tout de suite la seule certitude que j’ai : non, tout le monde ne peut  pas devenir analyste, même avec une formation la plus « sérieuse » que l’on peut imaginer. Les limites ne relèvent pas du domaine d’une quelconque  psychopathologie répertoriée de l’impétrant. Ce n’est pas la folie en tant que telle qui constituerait une contre-indication au devenir psychanalyste, ni même la qualité  de l’analyste « didacticien ». Il n’y a tout simplement pas de principe démocratique  pour devenir psychanalyste. Énoncé des plus déplaisants et des plus politiquement incorrects ! Que l’on s’escrime à trouver des critères de formation, des exigences et  des sanctions institutionnelles ou que l’on laisse se faire une régulation spontanée, une « sélection » existe et elle a lieu à un tout autre niveau.

On peut donc simplement offrir des conditions préalables au devenir analyste. Je ne souhaite pas en rajouter sur le mystère d’un tel devenir, mais il est  patent que dès lors que l’on a « confiance » en un psychanalyste pour des raisons les plus variées, la question de sa formation ne se pose plus. Ainsi il arrive que l’on  envoie des patients à un jeune analyste parce qu’il aura suscité un « transfert » de manière « spontanée », par sa façon d’être, de dire, par ce qu’on a entendu de sa  pratique ou de ses patients, par ses collègues ou ceux qui le fréquentent, que ce soit dans son parcours en institution ou en tout autre lieu. Alors ses collègues,  cherchant par exemple un analyste pour un proche, penseront immédiatement à celui-là, il s’imposera à l’esprit, sans que se pose la question de sa formation.  D’autres « jeunes » devront ramer pendant très longtemps avant que quelqu’un songe à leur envoyer qui que ce soit. D’autres encore verront les patients les  déserter sans comprendre pourquoi, aller de contrôle en contrôle, en vain… D’autres encore renonceront. Mystère des talents, valeur élitiste et non  démocratiques par excellence. Par ailleurs je n’oublie pas la force de persuasion des dragueurs professionnels que certains confondent avec le véritable talent. Le  temps fait toujours la différence. Hélas souvent sur le dos du patient qui ici porte bien son nom. Cependant aucune formation, et la visée démocratique encore  moins, ne saura empêcher les crapuleries. L’attention portée au véritable talent affine cependant la discrimination ambiante.

Mais pour que ces « talents » puissent émerger, pour qu’ils se répandent et prospèrent dans nos « milieux » pour qu’ils deviennent perceptibles, il faut qu’il existe  au départ, une sorte de jardin d’enfants doublé d’une université. Un lieu accueillant et un accès au savoir et à la discussion, le plus démocratique possible. La base la  plus large pour que naissent et tracent leur route quelques poussières d’étoile.

L’Ecole Freudienne de Paris a été à ses débuts (et j’insiste sur la période)  pour beaucoup, ce jardin, cette maternelle précieuse parce qu’elle a accueilli sans onditions préalables (c’était un temps généreux, les amours des commencements), sans exigences particulières. Tout simplement il y avait le désir  d’analyse. Il y avait certes la force d’attraction de Lacan, mais la liberté quant à la formation était, dans ses débuts, entière.
L’EFP m’avait ouvert ses portes le plus généreusement du monde, j’y ai trouvé des séminaires, des personnalités curieuses, attachantes, et d’autres à  éviter, à éviter absolument, mais surtout des amis, des copains, une vie en somme. Puis il y eut des critères, des rumeurs, des rancœurs et des nominations trop  attendues. Je n’ai pas eu à m’en plaindre, côté nominations j’ai été gâté… si j’étais critique ce n’était donc pas par déception.

La formation ? Je ne me posais pas la question. La psychanalyse personnelle, bien sûr, pour le reste je faisais ce que je voulais. On travaillait  beaucoup et sans contrainte… pour d’autres il n’en a pas été ainsi. C’était tout cela, et aussi des livres lus, les livres d’à côté, des autres, les anglo-saxons. Ah le  premier Winnicott, ah le premier Searles, ah la rigolade avec Masud Khan… Sans parler des hongrois, Ferenczi et Balint, le flash. Puis la curiosité grandissante chez  moi d’aller voir ailleurs, hors les murs de ma maternelle : non pas chez les autres dogmatiques, non, j’explorais les autres « marginaux ». Car chaque institution,  chaque dogme engendre ses marginaux. Ils étaient très différents des marginaux de chez « nous ».

Sans oublier mon contrôle chez Lacan et le suicide de ma patiente : pourquoi justement avec lui, lui dont je n’avais pas voulu comme analyste pour moi,  parce que je m’étais imaginé qu’il ne saurait m’éviter le suicide ? Or qu’avais-je fait d’autre sinon lui apporter là cette jeune fille que l’on disait schizo, merveille  d’intelligence, et qui s’était suicidée. À ma place ? Non, il n’est pas juste de dire les choses ainsi, je sais que c’est trop facile, elle avait une sœur morte avant elle dont  elle était sommée d’occuper la place, et elle avait fait tant d’autres tentatives avant d’être envoyée chez moi, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser les choses  ainsi. Je ne pouvais m’empêcher de repenser à mon ami Lucien Sebag, suicidé alors qu’il était en analyse chez Lacan. Lui aussi avait eu un frère suicidé avant lui.  Et Lacan assis à califourchon sur la chaise dans son bureau, le suicide de ma patiente : « Nous faisons un sale métier ». Je ne pouvais pas lui en vouloir, en situation, mais quand même… Pourquoi me disait-il tout le temps « Vous tenez là le  droit fil. » ?… J’avais beau savoir que chez lui c’était un tic de langage, il aurait pu parler, nous impliquer autrement, essayer de comprendre avec moi, cela n’aurait  peut-être rien empêché, mais le « sale métier » aurait sonné autrement à mes oreilles.
Lacan avait inventé un « truc », la Passe : on y était invité à témoigner de son parcours. J’y suis allée pour raccorder ma vie, mon analyse première en Lacanie,  avec mon analyse seconde un peu plus à l’est, ma quête d’autres marges et partant d’autres textes. Et en fin de compte pourquoi faire ? Pour contribuer à la formation ?  Payer ma dette pour avoir été si bien reçue ? Je n’attendais rien, mais il y eut quand même du bruit, du bruit de couloirs. C’était une institution, et une institution a  d’abord des couloirs. Tout devint « bruit », la musique s’en était allée. Définitivement. Et puis s’en est suivi le grand fracas de la dissolution, et après…

Après on a voulu faire autrement. Surtout ne pas reproduire cela. D’abord un « Entre-Temps » pour respirer et faire une pause pour réfléchir. Ensuite on s’est  dispersés, il y eut simultanément naissance de plusieurs institutions. « Nous », quel nous ? Aucun nous homogène, juste ceux qui voulaient faire autrement. Plus faire  école. Le pire de l’Ecole freudienne a été l’Ecole. Le meilleur, avait été la « maternelle ». Grand-mère Lacan et grand-père Dolto, j’aimais bien, il y avait de quoi  apprendre à les écouter raconter leurs contes de loups, de petits garçons et de petites filles, de corps morcelés, de miroirs brisés qui filaient le frisson dans le dos,  mais on s’en remettait en jouant avec des petits ronds de ficelles, c’était amusant. Certains en sont sortis maboules, d’autres sinistrés au long cours, ils ont tout pris au  pied de la lettres, les pôvres… ou les imbéciles. Et puis il y a eu les nostalgiques, ils ont fait un  » retour  » comme ceux du Parti communiste. Refondus, reconfondus…

Et tout cela raconte, oh très partiellement certes, j’omets des tonnes de livres lus, ou qui restent à lire absolument, tout cela raconte un parcours, une formation,  un Bildungsroman. Est-ce donc cela une « formation d’analyste » ? Si l’on veut. Ma formation avait aussi été tout cela. Mais cela ne peut pas se reproduire  volontairement, institutionnellement. Et même si l’on pouvait, on aura compris que je déconseillerai. Beaucoup de personnes peuvent devenir des analystes « honnêtes », en prenant un chemin bien plus simple. Et la plupart des analystes au  fur et à mesure de leur parcours retrouvent comme spontanément ces chemins simples. Ainsi : refaire une analyse, s’apercevant que la première est rarement  suffisante. Aller parler de leur travail d’analyste à un autre analyste, que l’on appelle cela contrôle ou supervision, peu importe, les deux termes sont hideux. La plupart  essayent de doubler ces démarches, quand faire se peut, par une formation universitaire, ou assimilée, afin d’acquérir la « culture », suivi de séminaires, de  travaux en groupe etc, tout ce qui se fait dans la plupart des institutions. La plupart des jeunes analystes y recourent sans obligation institutionnelle aucune. Mais cela  ne suffit pas à donner la bonne oreille et encore moins, ce qui importe tout autant à acquérir le « son ». Le son spécifique de « cet analyste-là », de ce talent particulier.

Cela ne suffit pas car la psychanalyse ne peut que périr – de médiocrité, de dogmatisme ou d’ennui – si elle renonce à l’exigence de talent et pourquoi pas de  génie. Car un analyste, même si le plus souvent il a affaire à la névrose, doit se confronter à la folie. Face à la folie, il faut du talent. Non pas un talent socialement  reconnu, criant, il peut être fort discret, mais aucune formation « instituée » ne fera l’affaire. Il saura que son analyse seule peut l’aider à condition qu’elle lui ait permis  d’implorer l’aide de ses ancêtres fous. L’analyse ne peut pas se contenter de former des analystes moyens. Comme si l’on voulait se contenter de former des musiciens  moyens, des peintres moyens, des chercheurs moyens, des médecins moyens…

Connaissant nos fêlures, sachant que nos fêlures étaient aussi nos  fondations et notre talent, ne voulant jouer à aucun jeu de prestance ni de normalité et désirant tenir compte de manière ouverte du fait qu’on ne devient pas analyste  pour des raisons futiles, nous avons voulu une structure souple mais solide, comme ces jouets d’enfant qui peuvent se tordre dans tous les sens sans pour autant  casser. Souple et solide pour tenir en temps de tempête sans casse définitive et pour ne pas contrarier, par la médiocrité des devoirs scolaires, les talents en herbe  et quelques inévitables caractériels, merveilleux analystes au demeurant, auxquels nous tenions beaucoup.

Donc pas de formation instituée. On sera une maternelle et un lieu de recherches avancée, mais l’Ecole, la vraie, on n’en voulait pas. Pas de gradus, pas  de nominations, aucune contrainte apparente. Un pari. Une vision libertaire en somme. On nous l’a assez reproché. On nous dit encore gauchistes invétérés. Je  suis gênée par l’usage que je fais du terme « nous ». Cependant je n’étais pas seule. Je ne suis toujours pas seule à penser ainsi. Mais il se peut que cela change.  J’écris ceci mais je ne suis dans aucune « instance ». Ces idées étaient au début largement partagées, même si je les énonce à ma manière. Par les temps qui  « courent », mais aujourd’hui ces temps rampent, par manque d’énergie créatrice, par ces temps d’hypocrites repentances, de dénonciations à tout va, du politiquement et  du sexuellement correct, de reniements de ce que furent des années de lumière et de joie, je revendique pour ma part dans ce contexte très précis concernant la  formation des psychanalystes, les termes de libertaire et de gauchiste. Termes devenus injure par parjure des plus médiocres… Je dénie à quelque ordre ou  instance que ce soit le pouvoir et la capacité de dire qui peut ou qui ne peut devenir analyste, qui peut ou qui ne peut pratiquer la psychanalyse.

Le pari était de taille, il l’est encore aujourd’hui. Et c’est aujourd’hui, après coup en quelque sorte, que je le mesure.

Les peurs des institutions analytiques sont multiples : comment éviter la montée au pouvoir du paranoïaque ? Comment éviter l’auto-proclamation et les  ravages du pervers ? Comment parer au pathos hystérique sans le contrôle de connaissances et l’exigence de culture ? Comment garder le pouvoir face à l’Etat  prédateur ? Comment se rassurer que l’exercice de ceux qui se prétendent sortis de l’institution dont on se sent responsable ne galvaudent la pratique de la  psychanalyse, ne tiennent au nom même de l’enseignement reçu des propos misérables dont on aurait à rougir ? J’en cite quelques-unes, il y en a d’autres ;  d’autres visent à justifier des hiérarchies bidons, des mises en place de notables et la création d’un peuple de « petits », réservoir de la clientèle, celle qui fait bouffer,  celle ont il est malséant de parler comme pourvoyeuse de fonds, liquides évidemment.

Aucune structure ne peut éviter ces dérapages, ces risques de manière certaine. Cependant l’on sait que le paranoïaque et le pervers ne sont a priori pas  attirés par des institutions où le pouvoir est réduit à sa portion congrue. Voilà au moins cela de gagné !

Après vingt ans de fonctionnement, je constate qu’un certain nombre d’analystes se sont  » formés  » aux Ateliers. Allant peut-être quérir ailleurs ce dont ils  manquaient sur place. (Exemple : « Lecture de Freud », « Lecture du Séminaire XXXXXX  » de Lacan, etc). Il me semble qu’ils sont à la hauteur de bien des  collègues venus de formations plus convenues, et plus attentifs que bien d’autres aux intrications de leur histoire aux histoires de leurs analysants. Certains ont plus  que du talent, une solidité et de vraies connaissances. Divines surprises, après tant de doutes. Mais on ronchonne toujours, comment ne pas ? On n’est pas très  connu, du grand public. Ah le désir de public ! Le désir de reconnaissance, même chez les meilleurs. Pourtant, et rares sont ceux qui s’en étonnent, la plupart des  jeunes analystes ont du travail, ont des demandes d’analyse. Malgré le peu de bruit fait, le peu de publicité, cela s’est répandu suffisamment : aux Ateliers on s’occupe  de la clinique, et les mauvaises langues d’ajouter qu’on donne dans l’humanitaire. C’est si facile. J’ajoute ces « bruits » qui font et défont les réputations d’un groupe et  qui attirent et repoussent en toute méconnaissance.

Si aucun auteur, hormis Freud, n’est revendiqué comme référence  prioritaire, si aucune indication n’est donnée quant à la formation, un habitus existe, des priorités non écrites sont apparues avec le temps. Parmi celle-ci la priorité de la  clinique sur les certitudes théoriques et le fait que tôt ou tard, chacun sera tenu d’en témoigner à sa façon, à son rythme, de ce qu’il fait, de comment il pratique.  Comment il ou elle « reçoit » l’analysant, face à ses symptômes, face à sa place dans le monde et aussi à ses possibilités financières. Des « enseignements » se sont ainsi  désenfouis à partir de nos communes manières de faire : est apparue alors la certitude que c’est à l’analyste de s’adapter aux possibilités du patient, psychiques  autant que matérielles, et non l’inverse. Que le patient n’est pas là pour « valider » telle ou telle théorie, mais que toute théorie aussi chère puisse-t-elle être pour son  adepte, doit être revue, voire abandonnée si le devenir d’une analyse la contredit. En d’autres termes on essaye de réaliser le désir de Freud qui ne disait pas mieux !
C’est plus vite dit que fait, j’en conviens. De le penser, de l’étayer, modifie l’attitude de l’analyste et ôte de l’arrogance.

L’autre « enseignement » consiste à dénoncer fermement l’attitude qui déclare inanalysable ou seulement aptes à une psychothérapie de soutien ceux qui ne  peuvent ou ne veulent (mais où passe la ligne de partage ?) s’adapter aux cadre de la psychanalyse classique : posture divan-fauteuil, paiement, régularité, nécessité  religieuse du silence ou des interprétations tranchées. Ces « enseignements » sont au travail et toujours sur la sellette.

Depuis maintenant vingt ans il y a eu beaucoup de passage. Un petit groupe est resté là depuis les débuts, beaucoup sont partis ailleurs, d’autres sont venus,  désertant d’autres associations. Du groupe des « fondateurs » je suis la seule à en faire encore partie aujourd’hui. Souffrirais-je d’une fidélité pathologique, ou bien estce là signe d’un reste d’insécurité venu de l’émigration ? Serais-je rassurée en restant dans une maison connue dont j’aime bien les habitants ? Pourtant je dis  quand je le peux aux plus jeunes d’aller voir ailleurs, de voyager, d’oser être nomades. On se forme non seulement par l’attraction mais aussi par la répulsion  vécue au contact d’autres analystes. On peut ne pas savoir ce que l’on veut, puisque devant soi il y a l’inconnu, mais on peut appréhender ce dont on ne veut  pas.

Et l’Etat ? Épouvantail brandi depuis des décennies auquel s’ajoute  maintenant la menace du social-flic europathique qui serait au dire de certains suspendue au-dessus de nos têtes. Eh bien, je dis qu’on inventera au fur et à  mesure ! Ce n’est pas en bâtissant des gendarmeries qu’on lutte contre les armes chimiques. Que l’on ne vienne pas me susurrer qu’il y a « transgression » à l’ordre  social ! Ni qu’il faille inventer des structures fortes et raisonnables pour résister au nom de la psychanalyse à l’empire de l’industrie pharmacologique ou aux méchants  neuroscientifiques… Si un jour il y a une exigence venue de l’Etat on trouvera des parades. Il faudra insister pour maintenir qu’il ne peut s’agir que de parades. Rien  d’autre que des parades, et en avertir la jeunesse qu’il y a trucage, maquillage, pointage. À la condition qu’il y ait encore de la jeunesse intéressée par ces affaires.

Toute forme de reconnaissance instituée est à la psychanalyse ce que l’amour est au mariage… Cela peut en être le point d’orgue… ou en cacher l’absolue  misère. De toute façon il y a risque majeur de mensonge.

Mais je ne m’égare pas : on peut souhaiter former des analystes sans pour  autant confondre formation, formatation et titularisation. Dès lors qu’il y a « école » d’une façon ou d’une autre il y aura l’esprit « élève ». Par définition une école  enseigne ce qui existe déjà. Il n’y a pas d’école de la création. Il y a seulement des conditions pour la création. Pour s’approprier ce qui existe déjà il suffit le plus  souvent de lire et de partager ses connaissances dans des lieux où l’on peut discuter, et entendre comment d’autres se trompent croyant bien faire. Il faut au  contraire un espace où est garanti un maximum de liberté pour être avec d’autres et laisser libre jeu à l’esprit pour faire travailler les idées soutenues par des pratiques  novatrices sans la peur d’une censure, et la pire de toutes : l’autocensure. Il y a un grand risque de dire à ses semblables ce que l’on fait effectivement. Ce risque pris  et le travail avec des patients que l’on peut recevoir avec toute sa créativité sans idée préconçue sont la meilleure formation à condition de pouvoir en discuter avec  des pairs. Quelle structure faut-il pour partager avec d’autres, des savoirs incertains, sans pour autant nier la disparité des uns et des autres, disparité qui  peut se tempérer par l’amitié qui, en l’occurrence, comme dans la « philo-sophie » tient une place non négligeable ? A ceci près : notre sophie a mille sexes.

Il est de bon ton d’évoquer dès lors le « transfert de travail » terme qui à mes yeux illustre à merveille l’ « hypocrisie professionnelle » si justement dénoncée par  Ferenczi. D’abord où est le transfert dans cette expression consacrée ? Chacun sait que bien des analyses se terminent, et pas au mieux, sur la place publique, quand  l’analyste rassemble autour de lui dans une institution ses analysants transformés en élèves. Alors il s’agit de transfert tout court, agi en dehors du cadre de l’analyse.  Autrement pourquoi appeler transfert ce qui peut être intérêt commun, amitié, voire amour partagé ? Transfert de travail est l’expression de la pure phobie, quand ce  n’est le bout du nez d’un moralisme psychanalytique sans aucun fondement conceptuel. Parce qu’il serait « mal » d’avoir des relations autres que de « transfert »  dès lors qu’on est dans un contexte de la psychanalyse ? Bouillie pour chat, pour éviter de dire la peur des liens qui pourraient faire contre-pouvoir à un pouvoir central. Parce que l’affect serait le mal, et de plus un mal anti-analytique. Parfois j’en ris, d’autres fois j’ai la pénible impression d’une manipulation propre aux sectes.  Qu’il y ait dans tout groupe des répétitions, des passages à l’acte, des tensions issues des histoires singulières n’est pas spécifique aux groupes d’analystes. Ce  qui est spécifique aux institutions analytiques c’est le pouvoir que garde un analyste par rapport à ses analysants dont il peut abuser ou non au travers de l’institution.  C’est là qu’intervient la structure de l’institution, la formation et la plus ou moins grande « drague » des analystes pour alimenter leurs institutions grâce à leurs  patients soumis ou fascinés envers lesquels ils restent en place de gardiens du savoir. Dans la FAP, il n’existe aucune règle écrite pour limiter ces rencontres. Là  encore c’est un pari, pari que les analystes sauront régler ces affaires cas par cas au sein même de leurs cures.

Il existe un paradoxe à la base de toute formation d’analyste quelle qu’elle soit : il y a un hiatus entre le processus analytique de la cure personnelle, la  structure qui héberge les analystes qui travaillent ensemble et la mise à l’épreuve intellectuelle des concepts fondamentaux qui sont des fictions théoriques. Il me  semble qu’une erreur fatale de Lacan a été, mais c’était inévitable et garde toute sa grandeur historique, d’avoir voulu faire fonctionner la structure institutionnelle sur  des concepts analytiques.

Il en était de même pour la passe : il s’agissait d’interroger au travers du  témoignage d’un parcours subjectif dans la cure les points les plus avancés de la théorie. Cela présupposait qu’il puisse exister un point de rencontre entre le plan du  sensible d’un processus subjectif et le plan de l’intelligible d’un discours théorique, discours de Lacan avant tout, énonçable par le même sujet. Cela supposait aussi  un saut, par-dessus au moins, la schize du sujet, sans parler de l’analyste, pure ombre chinoise. Il y avait esquive de ce qui est le propre de l’analyste dans son  transfert au patient et de ce que le patient induit chez l’analyste. Esquive, et de l’imaginaire de l’analyste – nié de la manière la plus crasse – et du réel. Le propre de  l’un et de l’autre, leurs singularités, dont ni l’un ni l’autre ne peuvent faire tenir dans un même énoncé le point de rencontre, sauf dans la séance elle-même, de façon  fugitive.

Dès le début de la fondation des Ateliers, ceci nous paraissait comme un danger de totalitarisme et d’hypnose collective. D’où le souci d’éviter toute  coalescence entre les idées directrices d’une analyse, pas les mêmes nécessairement de l’une à l’autre, nos intérêts pour telle ou telle théorie et la  structure d’une institution.

Pour finir je dirais que la question de la formation revient régulièrement sur le  tapis aux Ateliers, et que certains parmi eux fonctionnent de fait comme des lieux de formation autogérés. La critique interne existe et vise le fait qu’on reste dans  l’affirmation – dénoncée par certains comme une coquetterie – qu’on ne forme pas ! D’autres critiques existent et chaque changement de C.A. et du bureau peut  apporter des innovations, des modifications.

J’exprime ici mes points de vue personnels qui n’engagent que moi, j’ignore  si les uns et les autres des membres actuels ou passés de la FAP seraient en tous points d’accord. J’en doute, car il n’y a pas de devenir qui puisse se généraliser, ni  même d’idée sur ce devenir qui se puisse sincèrement partager en tous points. Des critères de formation institués viennent écraser ces points de divergence,  fondateurs de ces devenirs. L’analyste ainsi « formé » ne le devient qu’au prix de l’acceptation consciente ou inconsciente de cet écrasement, équivalent des  soumissions sociales tant décriées par les psychanalystes de tous bords.

Radmila Zygouris