Écrire la clinique

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Ce que l’on n’apprend pas à l’université
Ecrire la clinique psychanalytique : délimitation d’un espace particulier

Quelle valeur « scientifique » a un exposé clinique ? Ne peut-on pas faire dire ce que l’on veut à un texte clinique ? Oui. Alors ? Alors il ne nous sert que de métaphore pour avancer une ou deux idées ou pour montrer une situation réelle. Pour autant que l’on puisse parler de situation réelle quand cette dernière est décrite par un des protagonistes. Pour que la situation puisse avoir un minimum de valeur heuristique, il faudrait un tiers présent , une espèce d’anthropologue en situation, ce qui à son tour est rendu impossible par les exigences de la situation analytique qui par définition exclue tout tiers matériel.

Le « cas » ce n’est pas l’autre, c’est l’un et l’autre
Dès les premières « notes » d’un compte rendu clinque, ou d’un exposé de « cas » on peut voir très souvent toute l’idéologie de l’analyste comme matrice organisatrice du récit.
Du temps de Freud, et lui-même le premier, le « cas » présenté, l’était sous la forme des présentations de cas en médecine. Freud a un peu modifié l’écriture par le fait qu’il était un écrivain : les cas de Freud peuvent se lire comme des nouvelles. Une chose reste cependant « médicale », c’est le fait que le « cas » c’est l’autre. Il y a une barrière très importante entre le médecin et la malade. La prise en compte de l’interférence du contre-transfert n’était pas encore découverte, et on ne peut pas tenir rigueur de cela à Freud. Mais dès le journal clinique de  Ferenczi, on peut voir comment les pensées , les affectes et l’histoire de l’analyste sont partie prenante dans la cure et comment analysant et analyste sont dans une interdépendance psychique. Ils ne sont pas pour autant dans une parfaite symétrie. Très vite Ferenczi s’est rendu compte que l’analyse mutuelle était une impasse. Depuis, les choses ont évolué et il a fallu attendre les anglo-saxons tels que Searles et Winnicott , et plus près de nous Ricardo Ileyassoff pour voir réapparaître la question de l’influence mutuelle entre analyste et analysant. Dans l’école française, et surtout chez les lacaniens, l’analyste est situé à une place où il n’est pas sensé être affecté par l’analysant, sauf à choir de sa place. Mais en France bien d’autres analystes influencés par l’école anglaise prennent en compte cette interdépendance que je préfère dire organique plutôt que psychique.

Alors que peut-on dire en « racontant » un cas clinique. D’abord ceci : il y a une différence fondamentale entre la présentation d’un cas et une narration analytique.
Pour le médecin ou le psychiâtre , ou même le psychothérapeute, le cas c’est « l’autre ». Quelle que soit la « posture «  théorique de celui qui décrit un cas, tant que le cas c’est l’autre , nous sommes dans la position médicale . Ou de l’entomologiste ! Or ce qui signe une narration comme relevant de la psychanalyse,  c’est que le « cas » ce sont les deux, le cas, c’est l’un et l’autre. Le cas c’est l’entité » analysant-analyste ». A quoi il faut ajouter l’examen critique du dispositif d’accueil de l’analysant. Quels flux du monde traversent la séance, et quels sont les limites idéologiques de l’analyste face à celles de l’analysant. De manière plus générale , quel ensemble plus vaste englobe leur duel. On ne fait pas la même analyse en temps de crise sociale, en temps de paix et de prospérité ou en temps de guerre civile. On ne fait pas la même analyse selon qu’on est dans une institution ou que l’on reçoive chez soi, et l’on ne fait pas la même analyse selon que l’analyste a un « tarif » qui exclue un ensemble de patients qui ne peuvent pas le payer, ou que l’analyste peut prendre très peu cher à celui qui est dans la précarité sociale ou…psychique  qui l’empêche de subvenir à ses besoins. Selon que l’analyste pense que pour les pauvres il y a l’institution et que le privé est réservé à ceux qui peuvent payer ou qu’il essaye de trouver une solution autre.
Le cas c’est l’autre : ce n’est pas seulement la gravité des troubles qui provoquent la consultation qui empêchent l’analyste de se situer d’emblée dans la scénographie d’une entité duelle ,  mais aussi tout un ensemble socio-économiques, c’est à dire micro -politiques qui colorent plus ou moins le  patient d’un air d’altérité sociale et subjective.

Je suis partagée entre deux pôles extrêmes. D’un côté l’envie d’aller du côté apparemment le plus analytique qui est l’archaïque , à la limite du verbal et l’exploration du contre-transfert dans ces zones psychotiques, et de l’autre côté,  je suis intéressée par ce qui se joue de micro -politique dans chaque analyse.
Ce n’est absolument pas antagoniste,  c’est tout simplement complexe et difficile à rendre dans un même mouvement. Une condition  cependant, condition non pas pour en rendre compte , mais antérieur à cette tentative de restitution : il est indispensable que l’analyste puisse se contenir dans ce mouvement schizoïde.

Alors pourquoi est ce que cette question s’est posée à moi alors que je voulais simplement parler de la différence entre psychothérapie et psychanalyse ?
Parce qu’ aujourd’hui les demandes sont avant tout des demandes de psychothérapie, et je suis arrivée à la conclusion que pour pouvoir faire une analyse il faut d’abord pouvoir faire ses preuves comme bon thérapeute. Or être un bon analyste -thérapeute est bien plus difficile que d’être juste un bon analyste. Et pour cela il faut accepter de NE PAS toujours être en état de construire une bonne narration, ou un récit qui satisfasse la logique discursive. Il faut accepter qu’à l’intérieur même da sa narration se creuse un trou qui dément la cohérence discursive.

Paris , avril 2009