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Intervention dans le cadre du colloque
« Discontinuité et génération : les états du psychanalyste »
Présences Indiscrètes
C’est donc à mon tour de parler. Je suis contente, car j’aime parler. Il n’y a rien de mieux que de pouvoir parler. C’est pourquoi je garde un bon souvenir de mes analyses, même s’il y a eu des moments difficiles, je pouvais parler. Alors aujourd’hui je vais pouvoir en profiter… tant d’analystes à la fois pour m’écouter… c’est merveilleux !
J’en profiterai donc pour vous parler de mes soucis. Vous savez, j’ai beaucoup d’enfants et ils me font du souci.
L’aîné je ne dis pas, il est sorti d’affaires, il est maintenant autonome, il y a mis du temps… Il s’appelle Sigmund, je me suis beaucoup fait de soucis pour lui, mais je crois que je peux maintenant cesser de m’en occuper tout le temps, il est devenu indépendant, il mène sa vie.
Le deuxième, ce n’est pas pareil, il est très sensible, même un peu trop, je m’en inquiète, il s’appelle Sandor, mais il est très fin, très observateur et il sait se faire aimer.
J’ai aussi une fille. Elle est solide, même un peu carrée, elle tranche trop vite, c’est tout bon ou tout mauvais ; je lui dis parfois : « Mélanie, les choses de la vie, ce n’est pas si simple », mais elle a son caractère. Elle est un peu difficile… mais elle fera son chemin, elle sait ce qu’elle veut.
Mon troisième fils, je me demande jusqu’où ça va le mener son absence de sérieux. Les gens pensent toujours qu’il joue, même quand il dit des choses très graves. Ça m’inquiète un peu. Je lui dis souvent : « Donald arrête de jouer, tu ne vois pas que ce sont des adultes ? » Eh bien figurez-vous qu’il arrive à faire jouer tout le monde, grands et petits. Mais il ne faut pas qu’il s’étonne après si on ne le prend pas au sérieux ! Enfin il aime sa mère, lui. Parfois même je dois lui rappeler qu’il a aussi un père, tellement il est tourné vers la mère. Je ne vais pas m’en plaindre… mais ça me gêne parfois.
Et puis, et puis, il y a le petit dernier : Jacques. Lui, il n’est pas encore sorti d’affaires. Je dois encore m’en occuper. D’ailleurs il a tellement besoin d’amour que finalement un tas de gens ne font que parler de lui. Mais il le demande tellement, c’est irrésistible. Et figurez-vous que l’autre jour, il m’est arrivé la chose dont parlait Maritan tout à l’heure : de ces mères qui oublient d’aller chercher leur enfant à la sortie de l’école. Il parait qu’en parlant l’autre jour à un séminaire, j’avais cité tout le monde, sauf lui, Jacques. Je l’avais oublié, comme si je l’avais laissé à l’école. Alors il faut que je répare cela. Il faut que je m’occupe encore de lui. Il n’est pas encore autonome. Sans compter qu’il est tellement jaloux. Il ne veut personne à coté de lui. Sauf l’aîné… et encore. Enfin, heureusement que vous êtes là pour m’écouter.
Je vais donc commencer par une citation de Jacques Lacan :
« Qu’elle se veuille agent de guérison, de formation ou de sondage, la psychanalyse n’a qu’un médium : la parole du patient. L’évidence du fait n’exclut pas qu’on le néglige. Or toute parole appelle réponse1 ». (Les Écrits, Fonction et Champ de la Parole et du Langage p. 247) J’ajoute néanmoins que tout ne se dit pas avec les mots, en tout cas pas d’emblée.
Et tout ne peut pas se dire dans une langue. Tout ne peut se dire dans aucune langue.
Ainsi, savez-vous que le verbe « abstraire » ne possède en français ni passé simple ni imparfait ? Aujourd’hui j’abstrais… ou je m’abstrais… et demain je ne pourrais pas nommer mon activité présente. De même selon que l’on parle une langue ou une autre le corps n’est pas sollicité de la même manière. Quand on parle de la langue on a tendance à oublier le corps, ce qui est une erreur. Entre les deux, il y a la voix. C’est de la voix que je vais surtout parler aujourd’hui.
PRESENCES
Lorsque quelqu’un vient me voir, je sais que malgré les apparences, nous ne sommes pas toujours seuls. Peu à peu surgissent des présences invisibles, la mère, le père, une nourrice ou des bribes d’autres qui se manifestent et parlent au travers du patient, le plus souvent à son insu. Suis-je pour autant seule face à lui ? Cela aussi reste à prouver.
L’analyste est sensé avoir fait une psychanalyse pour pratiquer son art, mais cela n’est pas une panacée.
Devant beaucoup de cas, on constate que nos propres analyses ne peuvent nous servir de modèle exclusif, et qu’on est obligé d’introduire des innovations, notamment par rapport à notre mode de fréquentation de nos propres affaires psychiques par rapport aux patients. La notion de contre-transfert ne couvre pas toutes ces interrogations.
De plus en plus, nous travaillons sans filets. Funambules, mégalomanes, orphelins d’occasion, et pourtant tous descendants de Freud.
Ceux qui sont ici présents, appartiennent pour les plus vieux à la 4ème génération, les autres à la 5ème, la 6ème ou au plus la 7ème. Après la 7ème génération, en général la malédiction peut être levée… Le mal-dire, tout comme la dette, peuvent trouver une fin.
Car il y a quelque chose de nouveau dans la psychanalyse : c’est son grand âge. Cela ne s’attrape pas d’un seul coup, certes. Moi-même d’ailleurs… j’ai vieilli… Mais dans son cas à elle, il nous a fallu des générations et des générations pour commencer à en entrevoir des effets. Des effets de l’analyse sur elle-même.
Ni Freud, ni Ferenczi, ni M. Klein, ni Winnicott, ni Lacan, au moment de leurs productions théoriques les plus fécondes, n’ont eu à traiter des patients qui leur apportaient les effets de dizaines d’années de psychanalyse derrière eux, ni des séries de psychanalystes consommés. Il y a eu un homme aux loups, aujourd’hui ils sont légion. Si toute parole appelle une réponse, même si elle est de silence, c’est l’effet de cette réponse qui commence à devenir l’enjeu de certaines analyses, où l’on vient soi-même comme analyste en position seconde ou tierce.
Il y aurait maintenant dans la communauté analytique à faire l’analyse des modalités des réponses, et leur histoire, qui ont marqué les analysants devenus psychanalystes.
On y voit à l’œuvre des incorporations, des identifications et des emprises venues des filiations de prothèse.
Certains patients plus que d’autres nous mettent en demeure de chercher dans des zones inexplorées de notre psyché, de notre vie, de nos savoirs les plus épars, de nos langues, des moyens pour les entendre et de les penser. Quand je dis penser je ne parle pas nécessairement d’une activité intellectuelle. Que ceci soit clair. C’est tout simplement la possibilité de relier ensemble au moins deux éléments discernables venus du monde invisible de l’autre et de soi-même. Je voudrais mettre l’accent sur la prise en compte de l’activité imaginaire du psychanalyste, comme nécessaire pour penser l’autre, le patient.
C’est une capacité syntaxique subjective, elle se passe des contraintes grammaticales d’une langue donnée. Je dis là de manière simple et à ma façon ce que Bion développe de manière plus élaborée dans ce qu’il appelle la fonction alpha chez la mère du nourrisson.
Tout analysant, apprend très vite à parler la langue et la syntaxe personnelle de son analyste. Celui-ci n’y prend pas garde, il le prend pour allant de soi. Les hystériques plus particulièrement y excellent. Et sous ce vocable on méconnaît souvent l’énorme effort, qui peut être mutilant, que font certains analysants pour s’adapter à leur analyste.
Quant aux autres, ceux que nous appelons les « cas » difficiles, pour ne pas dire psychotiques, ce sont justement les personnes qui ne peuvent pas, pour des raisons vitales, faire cet effort d’adaptation et d’apprentissage inconscient.
Ils n’apprennent pas la langue de leur analyste, le contraignent à aller vers eux et à apprendre leur syntaxe qui est aux fondements de leur pensée et de leur manière d’habiter ou non la langue et leur corps. Cas difficiles en effet car ceux-là ne font pas leur analyse tout seuls. Je crois qu’il est faux de penser que cet effort doit être réservé aux seuls psychotiques. Si on le fait plus facilement, c’est parce que dans ces analyses-là on est moins contraint par le modèle que représente sa propre analyse.
On parle toujours la langue du Maître des lieux. Le lieu par excellence est d’abord le corps. L’emprise de la langue du Maître des lieux est une emprise sur les corps.
Songez par exemple que les immigrés quand ils parlent le français ne parlent pas avec leur voix d’origine. Généralement, l’effort d’adaptation est tel qu’ils ne peuvent pas garder la voix de leur langue maternelle. Quand ils perdent la peur qui est à la source de leur effort d’adaptation excessif, une sorte de mimétisme, alors ils peuvent retrouver, avec l’accent, leur voix. Mais pas toujours.
Le corps auquel nous avons a faire est un corps invisible. C’est une présence. Parfois on le voit, d’autres fois on l’entend, et puis on le sent aussi. L’angoisse, ça se sent. Ça s’entend aussi, mais ce n’est pas une affaire de mots.
Cette présence invisible est parfois piratée par d’autres.
Voyageurs clandestins, ils ne sont ni une référence ni un point d’ancrage avec autrui, mais des incorporations inconscientes qui empêchent quelqu’un de vivre sa vie en l’assujettissant à des injonctions, des interdits, à des actes ou des paralysies venus de lieux inconnus.
Ces emprises sont des dominations, des possessions, et des expropriations des singularités et des désirs propres au sujet.
Le terme emprise en français vient du juridique du 17ème siècle, et désignait des expropriations illégales des biens. Il n’est pas facile de les repérer. Les patients ne s’en plaignent que rarement de manière ouverte, car elles sont méconnues de lui. On finit par les repérer à la longue. Au travers de discordances subites, des changements de tons, de signifiants bizarres, et parfois même à l’aide d’un saisissement du patient qui « entend » littéralement en lui, l’autre parler. L’emprise se manifeste de manières variables. Elle représente cependant toujours ce caractère de discontinuité et d’hétérogénéité par rapport à une forme – psychique ou physique – qui est l’organisation propre de quelqu’un, à partir de laquelle il peut véritablement désirer et jouir de ses actes.
Depuis quelques temps, puisque la psychanalyse se fait vieille, il arrive donc qu’à cette place d’hôte indésirable, bien qu’inconscient, se loge un psychanalyste, qui après avoir fait son travail n’a pas quitté son patient, malgré l’apparent arrêt ou fin de l’analyse. Il sera ainsi promené en commensal par son ancien analysant de tranche en tranche. Pour qui celui-ci fera-t-il ces tranches ? Parce qu’il ne va pas bien ? Ou pour se séparer enfin de l’autre qu’il ne cesse de soigner de maux qu’il ignore. Ça fait un peu dessin animé, mon histoire, mais écoutez bien les gens qui viennent après certaines analyses, et vous verrez qu’ils ont, en prime, des problèmes dus à leurs histoires personnelles, toute une kyrielle de signes qui leur viennent d’ailleurs.
Car il faut bien dire une chose : quelle que soit l’issue d’une psychanalyse, qu’elle soit satisfaisante ou non pour l’analysant, il est rare qu’elle restitue l’individu à son état antérieur !
Et c’est bien là son charme délétère, à mes yeux tout au moins… Les gens qui se méfient de l’analyse, ont parfaitement raison. Il s’y passent des choses inouïes… si on veut bien prêter un peu l’oreille.
Je voudrais essayer maintenant d’illustrer par un petit exemple ces entrecroisements entre l’histoire personnelle d’un sujet et les filiations psychanalytiques. Je vais vous raconter à ce propos une histoire qui m’est arrivée… à moi et à quelqu’un d’autre bien sûr. Jamais une histoire n’arrive à un seul.
Un soir le téléphone sonne. Je décroche et j’entends la voix d’un collègue et néanmoins ami… Bizarrement il me vouvoie et, de manière un peu solennelle, me demande un rendez-vous. Je rigole, pensant qu’il plaisante et je dis : « Mais très certainement. Quel soir vous convient ? »
Il hésite, s’ensuit un petit dialogue où je continue à jouer le jeu, puis tout d’un coup, j’ai un doute je me dis que ce n’est pas lui, qu’il s’agit de quelqu’un qui me demande vraiment un rendez-vous pour une analyse, je fais comme je peux machine arrière et je lui fixe une date et une heure.
Je reste très perplexe devant une telle ressemblance, à la fois de voix, d’intonation et de rythme. Le jour venu, un jeune homme vient, et me raconte son histoire, puis me dit qu’il a déjà fait une analyse et… là, je ne suis plus étonnée lorsqu’il me cite le nom de son analyste comme étant celui du collègue pour lequel je l’avais pris.
Dans l’ignorance que j’étais de leur lien, du travail fait et des problèmes de ce patient, je n’ai rien pu dire de ma stupéfaction quant à cette ressemblance. Toute intervention directe m’aurait semblé violente à ce moment-là. Donc je n’ai rien dit. Ceci pose évidemment d’autres questions que la simple ressemblance à la voix d’un père, mélange d’hérédité et d’identification.
Dire que pendant une cure le patient s’identifie à l’analyste et qu’il peut arriver que l’analyse terminée certains traits identificatoires subsistent ne me satisfait pas.
Après tout, me faisait remarquer une amie, on prélève chez ses parents – et chez l’analyste aussi – ce qu’on peut, et c’est aussi un enrichissement. Certes, mais en l’occurrence, et ce dont je veux parler, ce n’est pas un enrichissements, c’est la perte de sa propre singularité, la perte de sa propre voix, c’est l’empreinte du corps d’un autre, donc une transmission inconsciente venue d’une histoire qu’il ignore, et qui lui fait porter la marque du réel d’une filiation qui n’est pas la sienne.
Cette emprise d’une autre voix sur la sienne dévoile à mon avis un passage de corps à corps sans la médiation du langage, bien que s’agissant d’une psychanalyse, donc d’une relation qui aurait en principe comme seul moyen le langage.
Si la parole peut faire coupure, la voix, elle, fait lien.
La voix relie physiquement deux corps, et établit un contact et une communication par laquelle transitent des informations qui ne sont pas nécessairement en concordance avec ce qui est dit. Par la voix passent les informations et les contenus indiscrets. Je pense que l’on ignore, et en tout cas que l’on sous-estime, à quel point la voix transmet inconsciemment des informations fondamentales, à quel point c’est par la voix, plus que par les mots, que se transmettent des injonctions et des ordres.
Chacun a sa petite musique qui lui est propre, qui est unique, l’intrusion du pirate s’entend quand ça chante faux. Encore faut-il avoir de l’oreille, car il n’est pas toujours évident de l’entendre.
Bien sûr que l’on porte en soi des traits des uns et des autres qui ont contribué à notre identité. Il y a les voix familiales et leur ressemblances, il y a tout l’éventail qui va du génétique à la série des identifications dans une lignée.
Mais lorsque l’individuation est faite, malgré les ressemblances qui persistent, chacun a sa propre voix. La voix est pour l’oreille ce qu’est le visage pour les yeux.
La marque d’une présence à nulle autre pareille. Attraper la voix de quelqu’un d’autre c’est littéralement perdre sa singularité et vivre comme fantôme d’une autre lignée que la sienne.
Freud a relativement peu parlé de la voix. Assez pourtant pour la situer en tant que voix intérieure comme « voix de la conscience », et, pour ce qu’il en est des hallucinations auditives, pour y déceler la prédominance du Surmoi. Je signale seulement qu’en allemand la voix se dit Stimme, et qu’atmosphère, se dit « Stimmung » : en somme c’est la voix qui y règne… Atmosphère, atmosphère…
Lacan, lui a prêté plus d’attention, en l’isolant comme objet partiel, dit objet a au même titre que le regard, les excréments et le sein.
Objets perdus, objets cause du désir. Il l’a donc découpée, isolée, mais il n’en dit pas grand-chose en tant que véhicule d’une communication inconsciente. Tout ce qui n’était pas langage articulé en unités discrètes, ça lui donnait des boutons. Il est vrai qu’il menait un rude combat contre la psychanalyse de l’ego et que beaucoup de ses positions mériteraient d’être revues en fonction de ses positions polémiques. Même Jakobson, en tant que linguiste et structuraliste, n’était pas d’accord avec ces extrêmes.
Denis Vasse à son tour s’y est attaqué dans son livre, « L’ombilic et la voix ».
Il cite Lacan lorsque celui-ci dit : « L’inconscient est cette partie du discours concret en tant que transindividuel qui fait défaut à la disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient ». Mais il ajoute que c’est la voix qui dès lors est le support qui actualise ce discours concret et transindividuel.
Il note par ailleurs : « La voix spécifie la limite qui sépare et contre-distingue le corps et le discours, le lieu et le savoir. » Il dit aussi : « Quand la voix se perd, la limite entre le savoir et lieu, la réalité humaine, s’évanouit donc dans la folie. »
« Le corps et le discours se confondent »… « La folie est une voix sans lieu ».
Or, si la voix est le support qui actualise ce discours transindividuel, et si un sujet au cours de son analyse prend la voix de son analyste, et la garde, c’est que la continuité de son discours conscient transite par l’histoire de son psychanalyste, et y reste aliénée.
On ne s’entend pas soi-même. Et si j’ai pris cet exemple, ce n’est pas pour critiquer un collègue, c’est parce que j’ai pu percevoir au travers de cet exemple un phénomène que je ne pourrais pas repérer pour moi-même si cela venait à se produire. Depuis, sensibilisée à ces intrications, j’ai pris la mesure de leur fréquence dans nos milieux.
Ils relèvent donc d’un entrecroisement, inconscient, entre la lignée de l’analyste et celle du patient au moyen d’un emprunt d’objet. On y constate la perte d’une singularité du patient au profit de celle de l’analyste. Ceci est une entrave à ce que se propose toute psychanalyse, à savoir l’individuation du sujet et la pleine jouissance de ses singularités qui le constituent comme unique.
Nicolas Abraham et Maria Torok ont isolé ces formations de l’inconscient venues d’un autre et qui se trouvent à l’état de corps étranger dans l’inconscient d’un sujet : ils leur ont donné le nom de crypte et de fantôme. Mais, outre qu’il s’agit en l’occurrence de présences dans l’inconscient des ascendants ou des familiers du patient, voire le plus souvent des morts, ils le repèrent systématiquement au niveau du signifiant verbal, sans préciser qu’il peut aussi s’agir d’objets du psychanalyste lui-même.
Il m’a paru alors utile de trouver un mot spécifique pour désigner ce phénomène de croisement, sans pour autant puiser dans les magasins d’accessoires funéraires. Je l’ai trouvé dans le Littré.
Je lui ai donné le nom de : PATAQUÈS.
En allemand : Ein PATAKES, en espagnol : un pataques, et en serbo-croate : jedan patakes. Il est souhaitable, je pense, de garder le signifiant français.
Bien que d’origine populaire, il figure dans le Littré, qui en donne l’étymologie sous la forme de l’histoire suivante :
Un plaisant était à côté de deux dames : tout à coup il trouva sous sa main un éventail. « Madame dit-il à la première, cet éventail est-il à vous ? » « Il n’est point-z-à moi Monsieur. » « Est-il à vous ? » dit-il en le présentant à l’autre. « Il n’est pas-t-à moi, Monsieur ». « Puisqu’il n’est point-z-à vous, et qu’il n’est pas-t-à vous, ma fois je ne sais pas-t-à qu’est-ce!2 ».
L’histoire fit du bruit, et donna naissance à ce mot populaire.
Il s’agit donc d’un objet trouvé dont les personnes en présence ignorent la provenance et que celui qui l’a trouvé ne peut désigner qu’au moyen de l’amalgame d’erreurs de liaison de la langue commises par ces mêmes personnes. Il s’agit en effet, dans ce que je vous raconte, d’amalgames d’erreurs de liaisons.
Je reviens maintenant à mon histoire. J’avais donc devant moi quelqu’un qui avait perdu sa voix, qui avait perdu sa chanson spécifique au détriment d’une autre voix, d’une autre chanson, sans le savoir. Je pense que cela arrive plus souvent qu’on ne le croit, mais il est rare que l’on connaisse et reconnaisse d’entrée de jeu le pirate. Pour cela, il ne suffit pas seulement d’une disposition particulière d’un patient, il y faut une participation active – même si elle est inconsciente – de l’analyste.
Comment me suis-je donc débrouillée de ce pataquès des voix ?
Eh bien, d’abord fort mal. J’ai bien sûr écouté. J’ai essayé d’écouter ce qu’il disait malgré la voix.
Pour cela je m’accrochais à la vue. Je n’ai d’abord pas voulu qu’il s’allonge sur le divan, pensant que la vue allait m’aider à faire la différence.
Il n’en fut rien. Un jour, il insistait pour prendre le divan, car il ne pouvait pas me parler face à face de certaines choses.
Je pense qu’il voulait en fait retrouver sa position d’avant, celle de l’autre analyse. Je ne l’ai pas empêché, et une fois qu’il fut allongé, que la voix fut le seul lien entre nous, je m’aperçus qu’elle me faisait peur, et me mettait moi, dans un drôle d’état.
REACTION : REPONSE INCONSCIENTE
La voix était dure, le ton pressé, saccadé. Il n’y avait pas moyen d’en placer une, et en plus rien ne me venait. Attendre que ça passe ? « Ça pourrait durer toute la vie », m’avait-il dit de son lien à son analyste précédent. Qu’en dire ? L’état du psychanalyste, le mien, n’était pas fameux. Ce qu’il disait n’avait rien à voir avec le ton. Lui, il se plaignait de sa solitude. Il disait qu’il n’arrivait pas à avoir de liens stables avec personne. Qu’il n’y avait pas d’amour dans sa vie. J’avais du mal à croire ce qu’il disait, tellement cela était discordant avec la voix. Il fallait que je la fasse retourner dans son lieu d’origine. La seule façon c’était d’imaginer l’autre. D’essayer de comprendre ce qu’il lui avait fait. Ainsi ils ont commencé à se dissocier, dans mon imaginaire en tout cas. Je les imaginais ensemble, cela les séparait. Mais la voix me faisait tout de même encore un effet étrange. Alors quoi, j’entendais des voix ? C’était aussi bête que ça ? Et j’ai pu constater à quel point une voix sans lieu est affolante, intimidante et surmoïque. J’étais comme ligotée dans mes capacités d’intervention. Pourtant j’avais déjà eu l’expérience de présences invisibles, des pères sévères, des mères en colère. La voix était maniaque, le contenu de ses paroles disait la dépression.
Un jour j’ai eu une réaction inattendue. J’ai senti monter l’exaspération.
Je me suis dit : « Bon dieu, mais qu’est-ce qu’il fichait son père à lui ! » Et puis j’ai dit, à voix haute, à ma surprise, tout à fait autre chose : « Vous savez, je n’arrive pas du tout à me représenter votre mère, je ne la vois pas ». Il a ri et m’a répondu: « Mais moi non plus ! » »
« Pourtant si vous saviez qu’est ce que j’en ai parlé dans ma première analyse ! J’ai tout déroulé, sa vie, son enfance, ses antécédents, tout… Mais si vous me demandez comment elle est, je ne sais pas. Je peux vous dire qu’elle est brune, mais c’est abstrait. Quand je pense à elle, c’est l’image de mon père qui me vient à l’esprit. »
Je peux dire qu’à partir de là j’ai commencé à pouvoir penser un peu, et à comprendre, en tout cas en avoir l’impression, ce qui s’était passé dans sa première analyse.
Ma réaction de colère, ma confusion entre l’évocation du père et de la mère, puis le constat de l’absence de représentation de sa mère chez moi, ont été une réponse inconsciente à l’absence de lien conscient de lui et d’elle. Donc d’elle comme séparée. Et cela a été, dans mon écoute, un début de décrochage du lien mimétique à la voix de l’autre comme double d’un lieu maternel.
Il a fallu en somme que je réagisse à partir de mon propre état pour commencer à entrer en contact avec sa subjectivité. Que j’entende l’absence d’une mère imaginaire, et la voix qui l’habitait comme une hyper-adaptation à l’autre, faite dans la peur.
Je pense que certains discours ne sont pas analysables tant qu’on n’en est pas affecté au point de réagir. Il convient sans doute d’avoir le contrôle de ses réactions, mais non d’en faire abstraction… ou de les nier.
Je prétends que ce qui se passe au registre des messages non-discrets ne s’analyse pas de la même manière que les messages dont le moyen est la parole dite. J’avais réagi à ma peur de la voix, ou dans la voix, à sa peur en somme, en convoquant un père par l’invocation d’une mère…
« Toute parole appelle une réponse. »
Quand la parole est silencieuse, et la sienne l’était malgré ses mots, c’est la réponse de l’analyste qui s’offre à l’analyse.
Cette voix d’un autre l’a en effet quitté un jour. Je regrette de ne pouvoir vous dire exactement quand. Un jour je ne l’ai plus entendue. Il n’avait donc pas mué. Il a dû changer tout doucement. En sourdine si j’ose dire. Comme changent les voix de femmes. Car bien qu’étant une voix d’homme qu’il amenait, bien qu’il fut lui aussi un homme, l’autre analyste avait été pour lui de la mère, sans le savoir peut-être, et quant à lui, son identité sexuelle restait à préciser…
Ils avaient bien rejoué un lien, sans toutefois le modifier. Mais compte tenu du type de travail qu’ils avaient fait ensemble, dont il me parlait, et qui me semblait très intellectuel, tout fait de reconstructions savantes du passé, un passé qu’ils avaient mis en mots, et en idées, ils ne s’étaient pas rendu compte que le vrai lien qui s’était tissé entre eux était d’une tout autre nature, qu’il était en fait silencieux, au dessous des mots.
Il m’avait dit d’ailleurs : « Je suis parti mais ça aurait pu durer toute la vie. »
La chanson est là avant les mots, elle est pré-verbale, elle est pré-spéculaire. Mais elle n’est pas hors la langue, elle en est l’étoffe, mais d’abord comme un air qui se chante, une mélodie particulière qui porte le corps. On n’écoute pas qu’avec les oreilles.
Je me suis dit qu’il s’était à leur insu passé quelque chose d’important entre eux, mais qu’ils n’ont pas pu sortir ensemble d’une scène commune restée inavouée, impensée, pire : non imaginée, comme un rêve refoulé.
Je ne sais pas s’il convient de parler ici en termes d’identification ou d’incorporation.
Je préférai pour l’instant dire qu’il y avait eu emprise dont l’effet est le mimétisme. La relation mimétique est pré-verbale et pré-spéculaire. Elle a une fonction d’adaptation à l’autre. Elle est silencieuse bien qu’en l’occurrence elle soit passée par la voix. La voix dit les mots, mais elle dit aussi l’affect. Cet affect était la peur. Celle-ci m’a affectée et avait provoqué ma réaction imaginaire d’appel. S’il y a eu chez moi ce brusque passage de l’idée du père (en silence) à l’évocation de la mère à voix haute, c’était en somme l’interprétation que je donnais à cette histoire : un père qui prend précocement la place de la mère de telle sorte que celle-ci reste non imaginarisée, à l’état de mère réelle, non séparable. Le psychanalyste le premier, croyant intervenir d’un lieu du père, avait en fait répété le scénario de l’enfance du patient. Sous prétexte qu’ils étaient deux hommes ils avaient méconnu la nature d’un lien.
Le mimétisme a lieu lorsqu’il y a danger, et qu’il faut à tout prix s’adapter à quelqu’un ou à un environnement. Et un patient est toujours en danger quand sa régression n’est pas perçue par son analyste.
Pour qu’un tel pataquès puisse se produire, donnant lieu à du mimétisme qui ne cède pas à la séparation, il faut au moins deux facteurs qui se conjoignent :
1° Chez l’analyste, une pulsion d’emprise consciente ou inconsciente. Freud dit : Bemächtignugstrieb. (Je renvoie ceux que cela intéresse au n° 24 de la Nouvelle Revue de Psychanalyse sur le thème de l’Emprise, je ne peux ici le développer plus longuement). J’ajoute seulement que les raisons peuvent en être variables. Ça peut aller d’une conviction théorique immaîtrisable à un désir excessif de vouloir le bien de l’autre, en passant par une emprise que l’analyste aura subie lui-même, et à laquelle il soumet son patient.
C’était ce cas de figure que j’avais cru déceler dans l’histoire précédente.
2° Chez l’analysant, cela suppose un état de détresse, une régression non perçue, qui le met en danger et lui fait franchir, seul, la distance qui le sépare de l’autre, pour être le même. Il entre dans une relation mimétique.
Qu’à un âge adulte un tel mimétisme puisse avoir lieu, c’est qu’il a dû se produire en cours d’analyse une régression importante passée inaperçue. Et ce qu’il me disait du type de travail fait avec cet autre analyste me le laissait supposer.
On peut parler de quelqu’un, sur quelqu’un, autour de quelqu’un, sans jamais le faire exister, sans pouvoir le représenter, sans le penser. C’est ce qui lui était arrivé avec son travail méticuleux sur sa mère.
Il avait fait un travail d’anamnèse, mais il ne pouvait ni la penser, ni avoir une émotion en l’évoquant. Il avait même apporté quelques signifiants… Mais c’est resté du non-séparé. Et de fait, la solitude dont il se plaignait était bien ancienne, colmatée par la présence de l’autre en lui.
Cette histoire m’a paru exemplaire car elle introduit le phénomène de la voix dont on parle finalement si peu, tant le signifiant et le signifié nous préoccupent, enfin tout ce qui est représentable et nous conduit à la recherche d’unités discrètes.
Si j’ai raconté cette histoire, c’est parce qu’elle est en fait simple et exemplaire. Exceptionnelle aussi du fait que je connaissais le pirate, pirate malgré lui. Mais elle n’est pas exceptionnelle quant au fond. Chacun de nous peut y être exposé, d’un côté comme de l’autre. Avoir des pulsions d’emprise ou être dans une relation mimétique. N’oublions pas que la pulsion d’emprise passe pour être une des caractéristiques de l’amour.
Mais alors comment savoir que l’on est en présence d’un voyageur clandestin, d’un pirate de la psyché si on ne le connaît pas, ou si les patients ne s’en plaignent pas. Ce qu’ils ne font pas, puisqu’ils n’en ont pas conscience.
D’abord, quand on sait que cela arrive, on y devient plus sensible. On a appris à y être sensible en ce qui concerne la filiation effective. Mais pas encore assez quant au pataquès dû à une analyse précédente. Cela s’apparente au repérage de conduites hypnotiques. Roustang, dans son dernier livre, « Influences », en parle.
Je pense qu’il est indispensable de développer chez soi-même des aptitudes d’écoute différentes que celles auxquelles nous avons été formés. Chacun de nous est un instrument qui ne joue pas de toutes ses cordes. Eh bien, il s’agit de faire travailler d’autres cordes !
Je pense que le repérage de ces présences aliénantes et indiscrètes se fait au travers de la relation à l’analyste, et plus concrètement encore, au travers du recours à l’imaginaire de l’analyste. C’est une manière – il y en a sans doute d’autres – pour ne pas se prendre pour un psychanalyste, car c’est alors que l’on est au cœur de ce qui s’appelle la résistance.
Lacan avait dit et redit que la résistance dans une cure c’était avant tout la résistance du psychanalyste, mais comme beaucoup de ces trouvailles, celle-ci, même si elle a souvent été citée, n’a jamais reçu de développements sérieux dans la pratique.
Paradoxalement la pratique lacanienne, je veux dire le « mimétisme » de sa pratique, ne permet pas l’exploitation de ce principe, pourtant fondamental.
Quand il s’agit de la voix, ou de mimétismes corporels non imaginarisés, l’écoute ou l’attention portée par le deuxième analyste à ses propres réactions imaginaires est alors un repérage possible quant à ce qui s’est intriqué et perdu lors de la première analyse.
L’éventail dans l’histoire du pataquès, n’étant ni à l’une ni à l’autre, il faut repérer, fut-ce par la fiction, le no man’s land. La connaissance des modes de travail ou de l’appartenance de l’analyste précédent peut aider, mais cela ne suffit pas, il s’agit toujours et quand même d’un lien à quelqu’un en chair et en os.
J’en viens maintenant à un aspect plus général du mimétisme.
Tout le monde a pu remarquer combien d’analystes ont repris de Lacan le fameux soupir, des intonations et des manières de faire.
Tout cela ne peut en aucun cas relever des chapitres savants sur la « transmission » de la psychanalyse, qui se réfèrent à des éléments du discours explicite, sinon rationnel. Mais il n’y a pas que Lacan. Il était particulièrement repérable, et compte tenu de sa position de « Maître » plus exposé à embarquer ses analysants-élèves dans son histoire personnelle non -dite.
Il y a peut être des bouts de corps de Lebovici ou de tout autre en position de maîtrise, qui se baladent aussi parmi nous : un malheur n’arrive jamais seul…
« Quand je serai grand et toi petite »… disent souvent les enfants. Ne pourrait-on pas dire qu’un des critères de la fin d’une analyse pourrait être, quand l’analysant aura reconnu consciemment (car inconsciemment, c’est généralement fait depuis longtemps) ce qui chez son analyste est le propre de sa filiation et de l’enfant qu’il a été ?
Cela pourrait être utile pour faire le tri de ce qu’il conviendrait de transmettre ou non dans la psychanalyse… Stipuler qu’à la fin d’une analyse l’analyste chute du SSS en devenant un petit autre a est théoriquement énonçable, mais encore faut-il lui attribuer ses singularités en propre, et repartir avec les siens.
Je me suis demandé à cette occasion si cette capacité de perdre sa voix pour celle d’un autre, ou même si ces mimétismes dans les manières de parler, n’étaient pas surtout le fait des hommes.
Les hommes vivent par rapport à la voix de leur enfance dans un état de perte et d’oubli absolu. De toutes façons, ils muent.
De toutes façons leur petite voix d’enfant les quitte brusquement, en quelques semaines, et cette résonance maternelle en eux se perd sans traces dans la nuit de l’oubli. Ils sont à cet endroit de leur mutation particulièrement fragiles, et toute position régressive les expose plus facilement au nouage d’un lien mimétique qui passe par le langage.
La voix se cache sous la langue, qui peut l’évoquer, même en son absence, même au travers du style de l’écrit… une fois que le corps l’a reçu en dépôt. La langue, faite d’unités discrètes, véhicule, dès que quelqu’un parle, la plus indiscrètes des présences, et c’est souvent la voix qui parle, malgré les mots que l’on dit. La voix nous échappe, nous trahit, et fait emprise.
Le fait de prononcer des mots ne signifie pas que quelqu’un soit vraiment dans la langue. Je pense qu’il n’est pas toujours bon de réduire cela à de la parole vide, comme le disait Lacan. Certains font semblant de parler, mais en réalité ils écoutent. Ils écoutent si on est là. Et font, avec leur voix, lien. Cela s’appelle la communication phatique : c’est comme quand on dit « allô, allô », « je suis là, et vous ? » C’est seulement quand ce message a été reçu que la parole acquiert sa vraie fonction. Et que la phrase de Nicolas Abraham se vérifie :
« Le langage est toujours une dé-maternalisation. » Oui, à condition que l’on soit dans le langage. Le fait de parler ne suffit pas.
Or c’est quand on est en présence de cette soi-disant parole vide que l’analyste s’impatiente et fait entendre ses affects ou son rejet..
C’est pourtant là qu’il peut être à l’écoute de la voix, mais aussi de ce qui se passe en lui, de ses émois, ses envies, ses peurs, ses rejets, son ennui et de son imaginaire induit.
Les impasses de son imaginaire, ses impatiences, ses mouvements intérieurs inavoués face au patient, poussent celui-ci au mimétisme pour réduire la distance.
Contrairement à ce qui se dit le plus souvent, il ne s’agit pas toujours de demandes d’amour mais d’un appel primitif d’un lien auquel l’analyste a du mal à répondre quand il est excessivement soumis aux exigences de la discontinuité discursive.
Ces exigences répriment en lui la possibilité d’entrer en contact avec ses propres émois et ceux du patient, surtout si, comme je le disais, le message ne passe pas par les mots.
Ensuite il est bien sûr indispensable de sortir de cette modalité du lien, ceci est évident. Et je dirais que la pensée est ce qui sépare le mieux.
Que le patient, dans une régression non perçue, non reçue, se charge de prélever sur le corps de l’analyste ce qu’il peut, et l’on se trouve en présence d’une singularité de prothèse, celle de son analyste qu’il portera en consolation d’une séparation qui n’a pas pu avoir lieu.
J’émets à titre d’hypothèse que ceci se produira d’autant plus aisément que l’analyste n’intègre pas dans son champ de pensée et d’activité ni la nécessité du repérage de l’affect chez lui-même, ni les faits propres à la régression.
Lacan a mis la régression et l’affect (à l’exception de l’angoisse) à la porte de sa doctrine, pour des besoins de polémique contre ses adversaires du moment, à savoir les psychanalystes américains.
Même si cela a pu être salutaire à ce moment de l’histoire de la psychanalyse, ce parti pris polémique l’a empêché, et à sa suite beaucoup de ses descendants, de donner une place dans leur pensée et dans leur pratique à la prise en compte de ces phénomènes.
Ça ne les empêche pas d’exister et n’évite pas leur émergence, mais les exclut du champ de la cure. Ce qui ne peut même pas s’imaginer, ne peut pas se symboliser, et alors comme on dit : ça revient dans le réel.
Que penser alors, et je finirais sur cette question, d’une communauté d’analystes, qui, en tant qu’analysants se sont approprié pour les raisons que je viens d’invoquer, des singularités d’un même psychanalyste ?
Je parle de leurs voix, de leurs toux, du rythme de leur respiration, de leurs postures corporelles, de leurs manières de donner la main, de recevoir et d’éconduire leurs patients, du rythme de leur parole, sans parler de son contenu. Je parle donc de la transmission d’un agir non dit. Je parle de la relation mimétique. Je parle de la somatisation de l’autre en soi et des effets méconnus de l’emprise, qui sont une expropriation de soi.
Qu’en penser et qu’en faire lorsqu’il ne s’agit pas d’une histoire isolée d’un patient, mais de quelque chose qui devient partie intégrante d’une doctrine, partie intégrante, mais muette ? Jamais aucun séminaire ne parlera de ça.
Faute du repérage des singularités d’un psychanalyste et du respect de leur non-transmissibilité, faute d’une place accordée à l’affect et à la régression, c’est le corps silencieux qui occupe la scène et résiste. Le Silence de la présence réelle du corps qu’on ne nomme pas comme tel.
S’agissant d’un Maître, ses symptômes et ses singularités se transmettent en silence à des générations de psychanalystes, en toute méconnaissance, car le nom propre, qui le désigne et qui devrait lui donner droit à ses singularités intransmissibles, comme à tout sujet, le réduit au silence parce qu’il est confisqué à nommer exclusivement une doctrine.
Le travail qui nous reste à faire est de redonner à nos maîtres, (nos fils et nos filles !) quels qu’ils soient, leur place de sujet, qui ont eu une enfance et des singularités qui sont leur bien exclusif.
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