Après-coup

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Paru dans le livre en portugais Ah les belles leçons – 1995
 
Les articles rassemblés dans ce livre couvrent une période de quinze ans. Ils ne représentent pas la totalité de ce que j’ai écrit et publié, mais tels quels, ils suffisent néanmoins à tracer un parcours.

La plupart de ces articles a été écrit à la suite de commandes faites par les revues dans lesquels ils ont été publiés. Plus que des commandes, terme quelque peu rébarbatif, je préfère dire que c’étaient des invitations à écrire. Ce pourquoi je leur reste infiniment reconnaissante.

Une exception cependant: aucun des textes publiés entre 1970 et 1978 par la revue « l’Ordinaire du Psychanalyste », ne figure dans le présent recueil. Ces articles – non signés, selon la règle du jeu de cette revue – ont été écrits sans que personne, hormis moi-même, n’ait à m’y inviter, et ceci pour la simple raison que j’étais une des deux responsables de cette parution. Si je mentionne ce fait ici, c’est pour dire que les premiers articles publiés dans ce recueil ne sont pas mes premiers textes, ils ont été précédés par bien d’autres parus essentiellement dans « L’Ordinaire du Psychanalyste, » mais aussi dans des publications médicales.

Le premier article intitulé « Survivre », qui ouvre ce recueil date de 1978; il a été écrit à la demande d’Octave Mannoni alors que j’exerçais la psychanalyse depuis 1967. Cette invitation à écrire a donc eu lieu environ 10 ans après mes « débuts » comme psychanalyste. Même si ce n’était pas à proprement parler un premier texte, puisque j’en avais déjà écrit d’autres avant, il marque une charnière par rapport à la vie institutionnelle de la psychanalyse à Paris: il ouvre la série de l’après « l’Ordinaire », tout en étant le dernier publié avant la dissolution de l’École Freudienne de Paris. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si je m’y attarde quelque peu dans I a suite de ces pages, car sa relecture aujourd’hui évoque pour moi la fascination qu’exercent certaines vieilles photos où l’on cherche à deviner l’emplacement des futures rides sur les visages d’adolescents. J’y retrouve des idées qui étaient déjà présentes dans certains textes de « ‘Ordinaire », notamment celui intitulé « Séparation d’Elle », mais avant tout, il contient en germe des thèmes que j’ai développé plus tard, sous des intitulés les plus divers, sans avoir conscience de les avoir déjà abordé dans ce texte.

C’est pourquoi j’ai tenu à ce que les articles soient présentés ici dans l’ordre chronologique, bien que de toute évidence , d’autres modes de regroupements significatifs auraient été possibles.

S’il est réconfortant pour moi de percevoir après-coup une certaine continuité dans mes idées, il est aussi étrange de constater que, quel qu’ait été le thème proposé, au mieux: je revenais à mes intérêts, au pire: à mes obsessions…

Cette constatation rejoint la question que je me pose à propos de toute écriture en psychanalyse: quelle part joue l’histoire personnelle des uns et des autres dans les préférences théoriques et les choix des exemples cliniques? Je ne pense pas qu’il serait plus convenable pour notre discipline de faire croire au simple citoyen qu’un intérêt purement intellectuel guide la recherche d’un psychanalyste. Ce serait pieux mensonge .. et inutile de surcroît!

En aucun cas je ne voudrais me contenter d’une réponse académique qui se fonderait sur un intérêt exclusivement scientifique.. Certes la théorie, et surtout la théorie d’Un permet des camouflages parfois fort réussis. y recourir systématiquement n’est pas fait pour enrichir notre domaine.

Il y a moulte manières d’écrire la psychanalyse.Il y a le style et la méthode. Si le style appartient à chacun, tout comme sa respiration, on peut émettre quelques exigences quant à la méthode lorsqu’il s’agit de psychanalyse. On peut écrire de manière académique de très belles choses…  mais il me semble que si un analyste désire transmettre son expérience ou sa réflexion, il est contraint à un équilibre esthétique et éthique entre une ouverture à la théorisation, voire une exigence de celle-ci, et l’espace laissée de manière latente ou patente à la présence du sujet, celui qui avance, et s’avance en écrivant. Si certains psychanalystes prêchent par trop d’académisme, d’autres sont en mal de littérature. S’il s’agit d’un pur désir d’écrire, pourquoi se cacher derrière le prétexte de la psychanalyse? Il est permis à chacun de chercher sa chance dans le récit subjectif ou la fiction. Mais à l’inverse, l’incapacité à construire un bon récit, une histoire, est une inhibition imaginaire un peu triste..

Rester assez près de sa subjectivité, sans pour autant envahir la scène par d’inutiles confidences, et être à la fois suffisamment logique pour se prêter à une argumentation contradictoire, voilà une gageure qu’il n’est pas toujours facile à tenir. Je ne sais si j’ai réussi à m’approcher suffisamment de ce modèle qui me parait le plus souhaitable.

Freud reste dans cette méthode inégalable. Il a su utiliser ses rêves et des événements de sa vie pour aller au delà de sa seule personne et constituer un savoir de valeur généralisable, tout en écrivant des histoires cliniques que l’on lit avec plaisir. Qu’il ait voulu de ce savoir faire science, est une affaire d’époque et un désir compréhensible pour un tel_ pionnier. Nous n’avons plus à faire valoir aux yeux du monde une telle exigence. Le souci de rendre le savoir psychanalytique ainsi que l’expérience clinique transmissibles pose à chacun le choix de la forme. Quand je dis « savoir psychanalytique », il va de soi que je ne me réfère en aucun cas à une théorie générale. Qu’il s’agisse de moi ou de tout autre, je pense qu’il n’y a de théorie en psychanalyse que locale, c’est à dire partielle. Le reste relève du leurre, du religieux ou de la naïveté. Ceci malgré les tentatives de quelques grands talents, d’obliger toute réflexion à se référer à un système unique. Eux, les « fondateurs de systèmes » (Freud compris) n’étaient en rien des naïfs, mais bien plutôt possédés par cette omnipotence qui va si souvent de pair avec le génie créateur. Si leur croyance en la valeur « unique » de leur système leur était nécessaire pour créer, ceux qui les suivent, voire même les admirent, ne sont pas tenus à observer un mimétisme aveugle pour autant. C’est pourquoi je préfère parler de « théorisation » ou même simplement d’idées, plus que de théorie.

En France, plus qu’ailleurs ( je veux dire plus que dans les pays anglo-saxons) nous avons subi, volontairement , le règne d’une pensée dominante en sciences humaines. Point de salut hors du structuralisme. A ceci s’est ajouté dans le domaine particulier de la psychanalyse le ridicule d’un mimétisme du style de Lacan, avec toutes les préciosités qui lui étaient propres. Il restera de tout cela quelques idées fortes. Les systèmes sont à mon avis ce qui, dans les sciences humaines, est le plus périssable. Restent les récits, les observations et les pensées. J’ai depuis très longtemps appréciée certaines idées de Lacan, mais j’ai toujours été rétive quant aux systèmes. Je n’étais pas la seule, nous étions quelques uns dans ce compagnonnage de révolte contre les dogmes. Je pense, j’espère que cela se sent au travers de ces textes.

L’écriture devance celui qui écrit.

Sauf à exécuter des devoirs d’élève sage, écrire de la psychanalyse comporte toujours le risque d’un dévoilement. Même s’il est souhaitable qu’un écrit de psychanalyse suive un développement rationnel, il n’en demeure pas moins que, croyant écrire une chose, on dit, sans le savoir aussi autre chose. A côté du propos conscient et rationnellement construit, l’énonciation contient des plis secrets et invisibles au moment de l’écriture. Elle révèle après-coup, en filigrane, des paroles, des pensées, des souvenirs, introduits comme des passagers clandestins dans la polysémie des rêves. Et comme le rêve, les écrits portent les traces d’un passé éclaté, méconnaissable, et comme le rêve, font pressentir- ne fut-ce qu’au travers des craintes- des configurations d’avenirs probables.

On aurait tout intérêt à restituer sa part de subjectivité à tous les écrits de psychanalyse, ils y gagneraient paradoxalement en crédibilité didactique- surtout si leur auteur les déguise en ouvrages de science. Cela se fait pour Freud, et grâce à Freud, mais serait-il le seul auteur de psychanalyse à avoir eu une enfance, une histoire et un inconscient présents dans ses ouvrages? C’est en tout cas, sinon le seul , du moins un des rares psychanalystes, à avoir essayé de ne pas cliver son expérience et sa pensée en privée et publique, même si de manière compréhensible, il ne lui a pas été possible de tout dire. Il ne s’agit pas de confessions, mais de la recherche d’une méthode plus conforme à la psychanalyse, c’est à dire de la prise en compte, que se doivent seuls les psychanalystes, de la part de subjectivité et d’inconscient à l’œuvre dans toute pensée.

De manière quelque peu rapide, je dirais que l’on écrit avec la mémoire des affects méconnus. Le terme d’affect ayant été mis à l’indexe par le système unique, je me permets de l’utiliser néanmoins. Il fut un temps où très pudiquement et un peu hypocritement on subsumait tout cela sous la noble appellation du « désir de l’analyste ». A force de répéter des formules abstraites aux allures savantes, nous avions fini par oublier que le désir n’est ni aseptique, ni forcément très propre. S’il est heureusement encore assez fréquent qu’un psychanalyste soit un honnête clinicien, il peut s’avérer aussi qu’il soit une crapule ou un imbécile. Il n’y a donc pas lieu de se pâmer de respect devant ce fameux désir. Si, au contraire, nous pouvons penser les productions des psychanalystes dans leur rapport aux traumas et à la méconnaissance des affections de la mémoire, sans pour autant les y réduire, ni les soustraire à une critique rationnelle, on éviterait à la fois la stupidité des postures dogmatiques et la séduction des croyances enfantines. Tel est le souhait que je formule pour toute lecture.

J’en viens donc, après ce détour, à mes propres textes.

Dans l’après-coup de la lecture de l’ensemble, trois fils, parmi bien d’autres qui les parcourent, ont attiré mon attention. Ils font pour moi le lien entre ma propre histoire et ce qui pourrait être d’une utilité plus générale. Pourtant, à aucun moment ces fils ne sont au premier plan, ni sous forme d’intitulé, ni comme thème traité à part entière; ils se glissent entre les différents sujets, vont et viennent d’un texte à l’autre. Très grossièrement résumé, je les énumérerais ainsi au moyen de trois couples d’oppositions- inclusions diversement lisibles:

– l’enfant dans l’adulte

– le public dans le privé

– le semblable dans l’étranger.

Au, premier regard ces couples se présentent comme des oppositions. Il n’en est rien: ces termes en apparence opposés, ne sont pas antagonistes sur le plan psychique, ils sont co-présents dans des rapports d’inclusions réciproques.. Ils signalent des réseaux complexes, une mosaïque hétérogène suivant une logique cumulative, plus que des couples d’oppositions d’un type structuraliste.

« L’enfant dans l’adulte », a été introduit et magistralement décrit par Ferenczi. Au moment où j’ai écrit « Survivre » il n’est pas certain que j’en avais déjà pris connaissance, mais dès le moment où j’ai pu lire ces travaux, j’ai eu l’impression de l’avoir su de tous temps. J’y reviens dans mes articles de manière plus ou moins claire, à plusieurs reprises, et plus particulièrement concernant l’enfant comme énonciateur méconnu à l’intérieur même des théorisations psychanalytiques. Si les écrits des psychanalystes ne sont pas automatiquement imputables à leur expériences d’adultes, cela n’implique pas pour autant que ce qui provient de l’enfance soit infantile!

« Le public dans le privé » se lit au travers de l’appel à l’espace public comme complément nécessaire à l’espace privé qu’offre la séance de psychanalyse. Cela concerne plus particulièrement tout ce qui touche aux traumas provenant du champ social. Rencontre de l’histoire personnelle et familiale avec l’Histoire. Blessures toujours privées, qui nécessitent parfois un au-delà de l’écoute singulière de l’analyste pour recevoir l’apaisement souhaité. Histoires d’humiliations, de hontes et d’affronts où les complexes de papa-maman , même élevés au rang noble de la symbolique oedipienne, sont insuffisants à faire sens et cicatrice.

« Le semblable dans l’étranger » résume les identifications horizontales, que j’oppose à celles que l’on pourrait appeler verticales concernant les instances parentales. L’appel à l’étranger existe comme salvateur de l’enfermement familial et patriotique. Enfermement auquel une certaine vision de la psychanalyse a largement contribué réduisant à l’instance paternelle et à la présence maternelle toute identification structurante.. Le double apprivoisé peut être une des figures qui répond à la nécessité de l’identification horizontale et permettre de faire lien de fratrie face à la terreur venue d’en haut.

L’écriture devance celui qui écrit.

« Survivre à l’Enfant et à la Guerre », me servira ici d’illustration clinique de la présence de ces trois lignes directrices implicitement répétées de texte en texte.

Pour être plus explicite, il me faudra dire quelques mots de mon histoire personnelle, m’autorisant en cela de mon cher Sigmund Freud lui-même, qui n’hésitait pas à se mettre en scène pour les besoins d’une démonstration.

Après avoir écrit cet article je me suis souvent demandé pourquoi je m’étais tant obstiné à parler de la mort de Freud comme d’une mort violente. J’estimais que toute mort reçue de la main d’un autre est une mort violente. Certes il l’avait reçue d’un autre, ayant lui-même demandé à son médecin Schur de mettre fin à ses jours si ses douleurs devenaient trop violentes. Ce pacte avait été établi entre -les deux hommes longtemps avant le stade terminal de la maladie de Freud. De même, pourquoi avais-je été frappé à ce point par ce que Freud pouvait comprendre de la place de grand père (le « Fort-Da ») ce qu’il n’avait pas pu faire de sa place de père? Et en troisième lieu, ne pouvais-je pas dire autrement qu’au travers de l’ histoire de Freud, à quel point il est difficile pour un enfant d’imaginer sa mère en deuil de lui-même? Ce thème reviendra plus tard dans  » Un nom qui manque ».

Je m’étais servie de l’histoire de Freud comme figure à la fois de grand-père, et de fils, d’une mère à laquelle il se sentait obligé de survivre, le tout sur fond de guerre, pour raconter à mon insu l’histoire de mon propre grand-père. J’ai su de tout temps que mon grand-père maternel avait été tué en temps de guerre, qu’il était donc mort de mort violente, assassiné par des ennemis, et mort sans sépulture. Je savais par conséquent que ma mère avait perdu très jeune son père, et ma grand-mère son mari. Ce que je ne pouvais pas penser, c’était que ce grand-père, au moment de sa mort était un homme lui-même encore jeune et qu’il laissait derrière lui sa mère encore en vie. Une mère avait donc appris la mort de son fils, de celui qui, même adulte était toujours son enfant. Ainsi s’écrivait en filigrane un fragment de mon histoire que j’ignorais. Je ne savais pas que cette arrière-grand-mère était encore vivante au moment de l’assassinat de son fils. J’aurais pu y penser. Je l’ignorais, non pas parce que l’on me l’avait caché, mais tout simplement parce que pour moi un grand-père était nécessairement vieux, et s’il pouvait être encore à la rigueur un père, il ne pouvait en aucun cas être un fils. Bien qu’adulte au moment de l’écriture de cet article, j’en avais écrit certain aspects d’une place d’enfant étant à I a fois empêchée et poussée par ma propre histoire, ou préhistoire. Trauma familial, trace laissée dans ma lignée d’une mort violente, et de l’annonce impossible de cette mort à une mère. J’étais incapable alors d’imaginer mon grand père comme un enfant. C’est pourquoi, sans le savoir, je m’étais servie de l’histoire de Freud, car tout cela était parfaitement pensable pour moi, quand il s’agissait d’une autre histoire que la mienne. L’enfant dans l’adulte était bien là, non seulement dans mes références explicites, mais à mon insu dans les plis de mon propre texte.

Ce sont là chemins de traverse qui ne se cantonnent pas aux seules associations sur le divan. Dans ce cas particulier, s’y ajoutait la nécessité de dire ou de rendre public, ce qui a été violence reçue de la place publique, même si la blessure restait intime pour sa mère, sa femme et ses enfants. Ecrire ce qui n’a pu s’inscrire, exhumer le non enterré. Voilà le deuxième fil tissé au premier.

Le troisième fil enfin, prend également son départ dans ce texte « d’enfance »: la notion du semblable y est présente; de l’énoncé d’une petite fille « il suffisait de rester ensemble », elle et ses semblables, les autres enfants,…jusqu’à l’attrait qu’exerce la guerre sur les hommes, et la valeur du « tous pareil » dans l’uniforme de soldat, gage de l’éloignement de la mère. Et puis enfin l’appel fait au médecin Schur pour abréger la vie, ce semblable qui n’est ni père ni mère ni fils.

Le semblable, c’est l’étranger que l’on apprivoise, c’est l’ami. Si l’amour est un thème souvent traité par les analystes, que ce soit au travers de l’amour sexuel, passionné, ou de l’amour-haine qui lie l’enfant à ses géniteurs, l’amitié n’a pas de place dans les écrits analytiques. Le semblable introduit l’amitié, la tendresse, la solidarité entre humains. Cela n’est jamais réductible, comme j’ai pu si souvent l’entendre, à une formation réactionnelle secondaire à l’agressivité et à I a haine. Je ne méconnais ni la haine ni l’agressivité, mais il existe ce lien entre les hommes qui est appel et reconnaissance du semblable, douceur des partages non obligés, véritable liberté humaine enfin, si aucun discours discriminateur ne vient en interdire l’exercice.

Je ne déroulerai pas plus avant ces trois fils rouges qui parcourent ces pages. Chaque lecteur pourra le faire à sa guise. Il y en a sans doute d’autres, ce sont ceux-là qui ont attiré mon attention, et que j’ai tenu à tirer du tissus des textes.

Je voudrais seulement ajouter que de tenir compte de ces intrications que je viens d’évoquer comporte des conséquences sur la pratique, et la façon dont l’analyste se situe dans le transfert.

Savoir que tout analyste peut à l’occasion, porter encore en soi l’enfant, tout autant que l’analysant qui s’adresse à lui; qu’il puisse même à l’occasion être cet enfant, sans que cela se réduise à l’identification hystérique…;savoir que dans l’espace de la séance , le privé de l’écoute singulière ne suffit pas toujours à cicatriser les blessures reçues du collectif, qu’il faut parfois un geste de l’analyste pour permettre à l’analysant de trouver la sortie vers le public qui lui convienne….; savoir que celui que j’écoute est avant tout un semblable, ceci quelque soient sa provenance, sa structure ou ses symptômes…; voilà trois modes qui impliquent des différences fondamentales dans les manières de pratiquer la psychanalyse.

Pour conclure, je voudrais revenir une dernière fois sur le premier écrit de la série, « Survivre », pour dire que je suis également quelque peu effrayée par la psychotique clairvoyance dont je l’ai conclu en 1987 :

« Ainsi ai-je un peu voyagé d’une génération l’autre, d’une guerre l’autre…. et à la prochaine. Sera-t-elle différente? »

L’écriture nous devance, et me fait parfois peur quand elle se fait annonciatrice du savoir inconscient et ancestral.

Mon grand-père dont Freud avait été le jumeau, par l’artefact de l’écriture, est mort au cours de la guerre des Balkans en 1913.

L’histoire de la petite fille se passe pendant la guerre en 1942 en Yougoslavie. Elle a survécu, à l’enfance et à la guerre.

Aujourd’hui alors que j’écris ces lignes la guerre est de retour dans cette même région du monde.

Et encore ailleurs et ailleurs on se massacre et les enfants y assistent, impuissants spectateurs.

Je dédie ce travail aux enfants des guerres, de toutes les guerres.

Je le dédie aussi aux psychanalystes, qui savent mieux que d’autres, à quel point il est difficile, d’empêcher les victimes de devenir des bourreaux, et malgré les souffrances vécues, de décourager la compulsion de répétition d’accomplir son oeuvre noire, de génération en génération.

Radmila Zygouris le 15 Août 1995