SÉMINAIRE VI.3
10 DÉCEMBRE 2006
POLYGLOTTISME, SUITE
RAPPEL
La dernière fois, j’avais ouvert une « fenêtre » sur la dernière séance, mais j’avais déjà commencé à poser une différence entre le « holding » simple et l’interaction psychique qui a lieu dans la relation symbiotique. Je vous avais dit que je ferai un détour par Bion, dont la pensée n’est peut-être pas familière à tout le monde, et qui mérite d’être connu pour le thème qui nous occupe.
La dernière fois, j’avais terminé en vous citant Bion à propos de la symbiose. Je reprends deux phrases.
La première, déjà citée :
« Pour pouvoir se séparer il faut intérioriser la non séparation, c’est-à-dire le lien. »
« Le nouveau-né est un être très démuni, non viable sans la symbiose. »
Geneviève Haag ajoute :
« La symbiose normale n’est pas une « fusion » où l’on s’engloutit, mais un long processus complexe, indispensable pour la construction du Moi corporel et du self, […] permettant l’approche de la séparation sans amputation de l’image du corps ou angoisses corporelles […] » (in Arrachement de peau psychique)
Je me demande si l’on peut accéder à ces moments précoces à partir de la relation en analyse, et si oui, comment. Cela pose, en filigrane mais en permanence, la question de l’emploi de la notion de régression.
Vous voyez d’emblée comment on est loin d’un positionnement lacanien.
UN PEU DE POLYGLOTTISME…
Certains sont peut-être moins sensibles à ces difficultés de passage d’une pensée à une autre. Alors, pour entrer dans le vif du sujet du polyglottisme, voilà un fragment de Lacan concernant le moi et le « dedans » de la vie psychique.
Dans le Séminaire sur l’Angoisse où il dit par ailleurs des choses très intéressantes, voilà comment Lacan remanie Freud.
Lacan, l’angoisse et l’intériorité
Lacan postule qu’il n’y a pas un « dedans » ni un « dehors » de la vie psychique, termes qu’il n’utilise d’ailleurs pratiquement jamais. Quant aux affects, il n’y en a qu’un seul, c’est l’angoisse du sujet. Mais comme selon Freud lui-même, l’angoisse est l’équivalent général de tous les affects, alors pourquoi pas ? Les expressions les plus simples utilisées par Freud, reprises par la plupart des auteurs, sont invalidées par les lacaniens. Ainsi, la notion de « danger interne » dont Freud parle si souvent, lorsqu’il s’agit de l’angoisse ou des tensions « internes ».
Je cite Lacan dans le Séminaire X, « Sur l’Angoisse », p.179 :
« Freud, au terme de son élaboration, parle d’angoisse – signal se produisant dans le Moi et concernant un danger interne. C’est un signe, représentant quelque chose pour quelqu’un, soit le danger pour le Moi. J’utilise cette structure [le Moi] en lui donnant son plein sens, à supprimer cette notion de danger interne. Comme je vous l’ai dit – paradoxalement pour les oreilles distraites – au moment où je suis revenu sur la topologie de l’Entwurf quand je vous ai fait mon séminaire sur l’Ethique, il n’y a pas de danger interne pour la raison que cette enveloppe qu’est l’appareil neurologique n’a pas d’intérieur, puisque c’est une seule surface, et que le système psy, comme Aufbau, comme structure, [je le traduirais comme construction, mais Lacan tient pour des raisons évidentes à la structure] comme ce qui s’interpose entre perception et conscience, se situe dans une autre dimension, comme Autre en tant que lieu du signifiant. […] J’ai dès lors introduit l’angoisse comme la manifestation spécifique du désir de l’Autre. »
Donc pour Lacan, l’angoisse n’est pas ressentie par quelqu’un à l’intérieur de son corps, et n’a pas à être traitée ainsi, mais elle est d’emblée la manifestation du désir de l’Autre. Evidemment, la bande de Möebius n’a ni extérieur ni intérieur, mais je prends cela comme une construction de Lacan, un échafaudage parmi d’autres, pour nous faire comprendre un point de vue, un et un seul. Il n’est pas sans intérêt, mais il est limité. Or les choses ont évolué de telle façon que les énoncés de Lacan ont perdu leur place dominante et sont devenues un échafaudage parmi d’autres.
Concernant l’intériorité, le « dedans » Freud a, tout au long de son œuvre, continué à parler de la psyché comme de « la vie intérieure », ou même comme de la vie de l’âme. Seelenleben. En français, ça passe moins bien. En anglais, on a le terme « mind ». Donc je ne suivrai pas Lacan sur cette démonstration. Il veut absolument réduire le Moi à une surface, le moi comme image dans le miroir. C’est un tour de passe-passe de dire que le Moi de Freud est assimilable à un appareil « neurologique ».
C’est une extravagance quand on y pense : le Moi chez Lacan est plat. Il est bidimensionnel. Il n’a pas de volume. Mais que devient le ressenti provoqué par cette image ? L’assomption jubilatoire. C’est très important, et je m’en servirai plus tard au moment où je parlerai de la séparation, mais en dehors de cette assomption jubilatoire, quels sont ses autres affects ?
Je n’ai pas l’intention de jeter Lacan avec l’eau du bébé, mais il va falloir s’accrocher.
De toute façon, je me suis aperçue que Lacan est très riche pour penser la « séparation » mais qu’il n’apporte que peu de choses pour penser un « être ensemble », et les flux d’affects.
Dès lors qu’on ne peut plus parler d’intérieur, de danger interne, on voit comment le dialogue avec les autres analystes est devenu impossible. Il en va de même pour les notions de régression et d’affect.
Vous voyez en quoi on est sur des planètes différentes, et pourtant je pense qu’il faut trouver des passerelles. Sans doute est-il important pour moi de pouvoir dire des choses qui tiennent en plusieurs langues ! Et c’est bien ça que j’avais fait avec Monsieur L.
Bion
Comme on l’a vu, j’avais fait l’hypothèse qu’il y a eu holding suffisamment bon par les premiers analystes dont l’effet a été la sédation de l’angoisse. J’ajouterai que de la part de Monsieur L il y a eu attachement, en tout cas au premier analyste, mais qu’ensuite il n’y a pas eu de travail psychique dans le transfert. La notion de contenant est souvent utilisée à la place du holding winnicottien. On confond aussi souvent le lien à l’analyste avec l’attachement au « cadre » et à la fonction de contenant de celui-ci. A ceci on peut ajouter la notion deleuzienne de « territorialisation » qui est également utilisée pour désigner les différents modes d’attachement.
Dans la clinique, on ne passe pas son temps à se demander de quelle nature est le lien, mais ce n’est pas la même chose de porter et d’être en symbiose. On n’est pas sollicité de la même façon.
En revanche, ce que Bion entend par « contenant » est tout à fait autre chose. En fait c’est une interaction et une transformation absolument essentielles.
Le holding quant à lui est une des façons d’offrir un contenant sans que cela exige pour autant un processus de transformation, mais souvent cela suffit pour qu’une transformation s’ébauche.
Dans le cas de Monsieur L, on peut imaginer qu’il avait trouvé du holding chez le premier analyste qui le recevait tous les jours quand il allait mal, mais qu’il n’a pas eu des outils de pensée (il est quand même important d’en posséder quelques-uns) pour entamer justement un processus plus « interne » ! C’est-à-dire un processus de transformation. C’est pour cela qu’il ne suffit pas seulement de porter.
Mais nous ne sommes pas tout le temps en relation avec un bébé, ni dans une relation régressive!
L’analyste fait le travail équivalent à la rêverie maternelle, et on suppose qu’il y a des moyens d’accéder à l’appareil psychique du patient qui serait resté en quelque sorte « ouvert », ou entrouvert.
L’analyste devra prêter son appareil psychique pour une « transformation » dans le ici et maintenant des mouvements affectifs et pulsionnels de l’analysant. Je reviendrai plus particulièrement sur cet aspect. Car pour Bion, c’est cette activité transformatrice qu’il appelle le contenant.
Quand on lit des auteurs tels que Bion, Winnicott ou Ferro, on peut s’imaginer que tous les patients se situent à ce niveau régressif. Je ne le pense pas. Comme je l’ai déjà dit, il y a aussi le lien qui n’est pas régressif, qui est là à tout instant et quelle que soit la structure et la pathologie du patient. Il est vécu entre deux contemporains, il implique simplement une empathie suffisante de la part de l’analyste pour que l’échange puisse se situer au bon niveau et qu’il prenne « la bonne distance » par rapport au patient.
Il y a tout un chapitre qu’il faudra consacrer à la notion d’empathie.
On voit bien que l’interprétable dépend de la théorie de référence. Au moment d’une interprétation, l’analyste découvre et montre au patient ses « adhérences » et ses croyances professionnelles inévitables.
Les différentes théories sont évidemment des vues de l’esprit et nous aident à moduler nos pratiques et à ne pas nous engloutir dans la demande du patient sans aucun outil de pensée.
LE CONTENANT SELON ST WILFRED
La psyché de l’analyste est en principe le contenant essentiel dans une analyse, à la condition qu’il veuille bien la mettre au service du patient, ce qui est loin d’être le cas pour tous les analystes et aussi pour tous les patients. Et si l’analyste ne peut pas se « penser » lui-même comme ayant autre chose à offrir qu’une « écoute » sans affects, est-ce que cela signifie qu’il n’offre pas de contenant ? Je pense qu’heureusement une grande partie de nos « services » sont prélevés par les patients à notre insu. Mais il est vrai que les analystes résistent beaucoup. Pour certains patients, il est aussi impossible de faire appel à une prise en compte de leur intériorité. Devenir sensible et s’intéresser à sa « vie intérieure », et donc au pourquoi et au comment de sa propre pensée, est souvent le signe du passage de la psychothérapie à la psychanalyse. C’est le passage de la pure plainte à la curiosité et au désir de savoir comment ça marche, ce qui est déjà l’entame d’une possibilité de séparation. Sans doute faut-il pour cela avoir dépassé un seuil vivable de la douleur.
Mais d’abord, pour qu’il y ait possibilité d’accès à certaines zones psychiques et à des expériences intimes du patient, il faut que l’analyste soit capable d’empathie, même s’il n’a pas les concepts pour penser ce qu’il sent.
L’empathie est une condition élémentaire pour qu’une analyse puisse avoir lieu.
Le mot empathie se dit en allemand « Einfühlung ». « Ein », c’est le « dedans », et « Fühlen » c’est « sentir ». Traduit textuellement, c’est « sentir du dedans ». Il n’y a pas de pathos, pas de souffrance impliquées par ce terme en allemand. Ce n’est pas la compassion. Là encore, c’est un mot que Lacan a pris en grippe. Dès qu’il y a un « dedans », il rue dans les brancards. C’est très cohérent en tout cas, mais quand même on peut s’interroger sur le danger que cela représentait pour lui.
LE BEBE EST TOUJOURS MYTHIQUE
Dès que l’on essaye de fabriquer une théorie sur la constitution du Moi ou de la naissance de la vie psychique, on fabrique une mythologie et les différents concepts sont les personnages de la mythologie, c’est pourquoi je m’attarde sur les différences d’idiomes.
Freud avait dit que la théorie des pulsions était un mythe, et on a tendance à oublier que l’on reste dans le domaine de la fabrication de mythes dès que l’on spécule sur les origines de la vie psychique et de la pensée.
On est inévitablement dans un récit mythique lorsque nous construisons le grand récit des débuts de la vie psychique de l’humain. Le bébé, dans la théorie analytique, est un être mythique. Jamais aucun bébé du monde ne viendra contredire un discours sur lui. Il ne parle pas. Et quand il parle, toute son expérience subjective est à tout jamais perdue dans l’océan de l’amnésie infantile. La vraie forêt vierge, ce n’est pas la sexualité féminine, c’est le bébé humain. L’enfance de notre vie psychique. Même lorsque le récit est basé sur une observation directe, ce qui le plus souvent n’est même pas le cas, on ne peut pas avoir l’avis de l’intéressé.
Il y a eu dans les constructions théoriques des moments basés sur l’observation. Mais une observation est toujours tendancieuse et les éléments « observés » sont « organisés » selon la syntaxe désirante de l’observateur.
Il en va ainsi de « l’enfant à la bobine », de « l’enfant du stade du miroir » et de « l’enfant de l’objet transitionnel » Trois enfants mythiques qui représentent des moments théoriques, et que j’avais appelés « personnages conceptuels ».
Tout ce préalable est là pour vous dire que je ne « crois pas », comme à un pur réel, à ce que raconte Bion concernant les premières relations du bébé et de sa mère. Pas plus que je ne « crois » Mélanie Klein ou Françoise Dolto. Mais nous ne pouvons pas nous passer de constructions sur nos débuts dans la vie. Alors il me semble important de voir ce qu’un homme intelligent, qui a passé sa vie à observer et à analyser des patients, produit comme construction et invente comme mythologie, ce qu’il imagine être la part invérifiable de notre intériorité.
Quand je dis que je n’y crois pas, c’est au sens freudien : Freud disait que la théorie est l’échafaudage qui permet de construire le bâtiment, mais qu’il ne faut pas confondre le bâtiment et l’échafaudage. C’est quoi le bâtiment ? C’est l’inconscient, et plus généralement la vie psychique qui échappe à l’observation.
Freud avait déjà tout fait, et le mythe, et les applications, et les utilitaires. Le disque dur et les logiciels. Après, c’est devenu plus difficile. C’est Mélanie Klein qui a osé le plus, qui a remonté le plus loin dans la première enfance. D’où l’importance de Bion qui a repris les idées de Mélanie Klein en les développant. Ce n’est pas pour rien que Lacan l’a appelé « la tripière géniale ». Elle a introduit l’observation en direct de l’enfant, tout en étant suffisamment folle pour y projeter un « dedans » incroyablement imaginé et totalement inobservable. Elle a fait un autre mythe avec d’autres personnages mythiques. Je vais donc vous parler de Bion, qui a été à Mélanie Klein ce que Lacan a été à Freud.
Mélanie Klein a commencé à prendre en compte les expériences archaïques de la toute première enfance où la mère est le personnage principal, à ceci près que cette mère-là est une bien étrange créature. La mère selon Mélanie avait encore un rapport avec un pénis, pas vraiment un homme, un pénis semblait faire l’affaire, plus souvent comme pénis manquant. Enfin bon, un pénis parcourt la scène… Bion et Winnicott, chacun à sa façon, et sans doute pour des raisons différentes, vont accentuer tout cela, à ceci près que le pénis de Mélanie Klein ne sera plus convoqué. Exit le pénis kleinien et entrée en scène des états psychiques de la mère. On peut y voir – avec mauvais esprit – le voyage d’un phallus imaginaire.
Ce n’est donc pas une mère qui a une vie, une vie de femme, c’est exclusivement une mère à bébé, donc déjà une créature qui n’existe pas ou qui est bien irréelle. Tout comme Heidegger avait parlé de l’être pour la mort (repris par Lacan), on pourrait paraphraser et dire que Bion et Winnicott ont inventé « une mère pour le bébé ». De toute façon, l’un et l’autre situent la naissance de la pensée exclusivement dans le rapport à la mère, en somme, dans une relation purement imaginaire. Eh oui, il s’agit bien d’images, mais pas seulement d’images.
Une autre spécificité de Bion m’intéresse : il élève la pulsion épistémophilique au rang de pulsion à part entière, au même titre que la Pulsion de Vie et la Pulsion de Mort.
Bion s’occupe donc de la « pensée ». Cette activité mentale globale, à la fois affective et intellectuelle, qui fait que quelqu’un peut se sentir être soi, exister, et apprendre de sa propre expérience, parce que cela a le plus étroit rapport avec la possibilité du changement en analyse ou du changement par l’analyse. Je vous rappelle que la plainte de Monsieur L était que si l’analyse lui avait sauvé la vie, elle ne l’avait pas guéri, donc qu’il ne constatait aucun changement, et qu’il avait pendant tant d’années attendu en vain un événement, un événement psychique.
Bion met en place un dispositif théorique pour saisir à partir de quels genres de processus quelqu’un peut « changer » dans une analyse. Ce n’est quand même pas parce qu’on lui annonce « une vérité » qu’il va changer ! Et si oui, alors par quel mécanisme cela se fait-il ? Je ne trouve pas ça évident du tout. Comment quelqu’un peut-il changer parce qu’il a entendu quelque chose ? Il y a nécessairement passage par un affect pour que le changement puisse avoir lieu. Tout au long de ce cheminement se pose la question du statut de la régression, en analyse ou par l’analyse, et des affects dans le ici et maintenant. Par où passe l’onde de choc de ce qui a fait effet de vérité ?
L’APPAREIL A PENSER
Bion introduit dans ces concepts de base quelque chose de nouveau. Alors que Freud fait pivoter les conflits à partir de la notion de refoulement, Mélanie Klein introduit la notion de clivage (et là il y a une injustice faite à Ferenczi, car c’est lui qui le premier a parlé du clivage).
Bion invente un modèle conceptuel qui suppose la nécessité d’un appareil à penser. L’individu se développe en établissant des liens psychiques avec des objets concrets de son environnement, et avec des personnalités qui l’entourent, tout autant qu’avec lui-même. Il y a donc la double circulation : lien avec l’entourage, humain ou inanimé, et lien intrapsychique entre soi et soi.
La pulsion épistémophilique entre en jeu dans ces processus où il n’y a pas que l’amour et la haine. Cette Pulsion de connaissance va me servir dans mon propos sur la poussée de liberté qui préside au désir de séparation. L’activité C (C comme connaissance), comme l’appelle Bion, est une activité qui préside à l’abstraction, mais au départ elle est bel et bien une fonction qui peut intégrer une expérience émotionnelle. Si cette activité commence à partir du lien préverbal et symbiotique à la mère, elle est liée au langage, aux fonctions du langage, de la façon la plus directe. Bion s’interroge sur les différentes façons dont quelqu’un peut utiliser le langage, car il ne suffit pas de parler pour être vraiment dans la langue. Et c’est ici qu’intervient la position subjective : à quel niveau a lieu l’échange verbal ? A quel niveau le patient entend-il les mots ? Par exemple, le mot « chien » peut désigner un chien en particulier, mais il désigne aussi une classe sémantique. Or cette capacité d’abstraction est perturbée chez beaucoup de psychotiques pour qui « les mots sont des choses ». C’est important pour les analystes, et pas seulement quand on traite de la psychose. Cela est d’autant plus intéressant que les travaux récents sur la mémoire font bien la distinction entre mémoire procédurale et mémoire sémantique, mémoire qui ne retient pas les faits et gestes de tous les jours mais en extrait le sens général pour former une mémoire à long terme. Je pense que j’essaierai d’en dire un peu plus un autre jour.
Il n’y a pas, chez Bion, cette condamnation lacanienne qui taxe de « parole vide » toute parole qui n’émanerait pas d’un Sujet. Bion est plus clinicien que Lacan, il tient compte de l’état de celui qui parle. Or si on ne tient pas compte du fait que quelqu’un peut parfaitement parler mais que sa pensée n’emprunte pas le langage de l’adulte pour la communication interne, alors on peut passer à côté de l’essentiel. Ferenczi a été le premier à le signaler à propos de l’enfant dans l’adulte, mais Bion introduit encore autre chose.
Et on est tout de suite au cœur de la question : à quel niveau une parole de l’analyste, une interprétation, fait-elle de l’effet. Je dis interprétation, il se trouve que « j’interprète » très peu, je parle, mais ce que je veux dire est simplement ceci : une phrase que l’on peut dire et qui tout à coup fait interprétation, qui fait de l’effet et fait que quelque choses change.
Bion se demande comment l’enfant passe de l’état d’infans sans paroles à celui de quelqu’un qui peut penser ce qui lui arrive et qui peut transformer une expérience sensorielle en événement psychique et en narration.
Il ne se situe pas seulement au niveau clinique d’observation.
LA « CONSTRUCTION » DE BION
Comme la plupart de grands théoriciens, il ne peut pas s’empêcher de penser au-delà de la clinique immédiate, donc il est obligé de fabriquer un mythe des origines. Alors comme Freud, Il part de très loin. De la matière vivante.
Bion considère que
« le fait de penser est une fonction nouvelle de la matière vivante et que toutes les émotions les plus primitives de la psyché ne peuvent pas être transformées en pensées ; en outre toute transformation dans cette direction a un coût très élevé en termes de souffrance psychique. » (in Ferro, p.129)
On oublie trop souvent que penser peut faire mal.
CAPACITE DE REVERIE MATERNELLE
Or tout cela se met en place au moyen de ce que Bion appelle la «capacité de rêverie de la mère du nouveau-né». Cette rêverie va constituer la base de la formation de la pensée. Ou plutôt de protopensées, de ce qui permet la pensée. Ce ne sont pas tout de suite de vraies pensées, puisqu’il n’y a pas de contenant de pensées, pas d’appareil à penser les pensées. En gros, c’est comme si on n’avait pas d’estomac pour digérer les aliments.
Je vais quand même donner encore la parole à Antonino Ferro, parce qu’il le dit de façon très vivante.
Parlant de « l’inquiétante étrangeté » de Freud, il dit ceci :
« Qu’y a-t-il de plus familier que ses propres émotions qui ont été refoulées ou scindées [là il y a déjà le clivage] et qui maintenant se retrouvent in statu nascendi à côté de soi ? »
De là, il va développer la nécessité chez l’homme de recourir aux récits, à la narration, pour donner un sens et des représentations à ces sentiments qui n’ont pas de nom.
« Je voudrais aller au-delà de la genèse des processus de création pour chercher ce qui, plus profondément encore, fonde une telle nécessité et, plus encore, tenter de comprendre si la « narration » ne constitue pas un besoin fondamental de l’espèce humaine, une réponse à la peur, à la terreur engendrées par quelque chose qui serait plus primitif, par quelque chose qui précèderait le refoulement. » (p.167)
Donc, il cherche des invariants de l’espèce humaine, voyant sans doute que l’Œdipe tel que Freud l’avait postulé n’était pas un invariant suffisant, parce que le refoulement qui soutient l’édifice du complexe d’Œdipe porte sur des contenus qui sont socialement déterminés, si on parle en termes d’interdits. Par contre, Ferro parle au niveau de l’espèce, du besoin de fabriquer des narrations pour se débarrasser de peurs archaïques, quelle que soit la culture.
Et Ferro cite Bion :
« C’est de la rencontre de nécessités urgentes, qui prennent le nom de « terreur sans nom », avec la capacité de rêverie de la mère, que la pensée tire son origine. Autrement dit, tout ce qui vient de l’enfant, en fait de fantasmes très primitifs, de proto-émotions, de sensations corporelles indifférenciées et confuses [que Bion appelle éléments béta], va être évacué dans la psyché de la mère, où cela va trouver accueil et être transformé en quelque chose de pensable, de tolérable. Ce processus dépend de ce que Bion appelle la capacité de rêverie de la mère, grâce à laquelle certains éléments béta bruts vont se transformer en éléments alpha, qui sont comme des pictogrammes émotionnels, des images visuelles qui constituent des matériaux de base de la pensée. Autrement dit, chaque quantum de peur, de terreur, etc, va se trouver transformé, par la psyché de la mère réceptive, en éléments alpha qui vont pouvoir par la suite s’organiser en pensées oniriques, puis en pensées. »
Lacan, dans un autre langage, dit également la précocité de l’angoisse : « L’angoisse apparaît avant le désir » (p. 324 in L’angoisse).
On peut se rappeler également de ce que disait Damasio concernant l’importance de l’affect comme charnière entre le sensoriel, le ressenti, la pensée en image et la pensée transformée en langage.
Mais Bion va plus loin : il va vers l’action inter-psychique. Il est dans l’interaction, le sujet n’est pas seul à devoir régler ses problèmes.
Cette capacité de transformation par la mère sera elle-même transmise à l’enfant, par une sorte d’apprentissage ou d’intériorisation, et plus tard à son tour, l’enfant deviendra ainsi capable de transformer lui-même ses expériences intolérables en quelque chose de pensable. C’est peut-être le moment d’évoquer les réactions si différentes d’individus ayant subi le même trauma. Cette différence pourrait être imputable à une plus ou moins bonne capacité à digérer les expériences pénibles. La fonction alpha est introjectée et fonctionne comme « un broyeur de peurs ». C’est bien ce qu’il faut entendre par la citation :
« Pour pouvoir se séparer il faut intérioriser la non-séparation, c’est à dire le lien. »
Pour Ferro, un narrateur de fables a la même fonction vis-à-vis de l’enfant, à condition qu’il raconte et non pas qu’il lise insiste Ferro, qui évoque à ce propos des narrateurs comme Virgile accompagnant Dante dans les cercles de l’enfer. Vous voyez que le langage n’est absolument pas exclu, mais qu’il y a des transformations psychiques nécessaires pour que l’acquisition du langage conduise à en faire un usage psychiquement satisfaisant, à savoir un usage d’intégration des expériences.
L’analyste aurait ainsi cette fonction de narrateur et de transformateur. Ce qui a été défaillant du côté du travail maternel, de la rêverie maternelle, est ainsi rattrapé par l’analyste au travers de l’attention flottante qui serait l’équivalent dans la séance de la rêverie maternelle. Cela suppose évidemment un analyste pas muet ! Un analyste qui fabrique une fable à partir de ce qu’il entend et sent, à partir de ses images internes, suscitées par les récits et les affects de l’analysant.
Une grande importance est donnée aux « flashes ». Ça me paraît très important. Tout le monde sait ce qu’est un flash : c’est une vision ou une idée qui vous traverse subitement. Je l’avais appelé une pensée-étincelle. Ça peut être une pensée apparemment absurde, ou une image venue du fond de l’inconscient, et irréfléchie de l’analyste. En fait, le flash fait appel à la pensée hallucinatoire et à sa traduction verbale qui est le « récit plié ».
Evidemment, la mère bionienne parle aussi, mais cela peut se passer en silence, il faut qu’elle puisse ressentir ce que ressent l’enfant pour le lui restituer de manière « digérée ». Bion utilise souvent la comparaison avec l’appareil digestif !
Donc Bion propose rien de moins qu’une théorie de la pensée : « l’appareil pour penser les pensées ». Je rappelle une critique lacanienne : le Moi freudien serait un appareil neurologique sans dedans et sans dehors.
Pour Bion, pendant les étapes initiales de leur développement, les pensées sont des impressions sensorielles et des expériences émotionnelles très primitives. On est donc du côté des objets de besoin.
Une chose très importante est souvent oubliée quand on n’est pas de formation kleinienne, c’est que tous les objets nécessaires sont de mauvais objets : si l’on en a besoin, c’est qu’on ne les possède pas. Si on ne les possède pas, c’est qu’ils sont cause d’une sensation négative et mauvaise, l’équivalent d’un affect négatif. Dolto disait un peu cela mais de façon plus bon enfant : « Je t’aime , je te mange ». Mais elle ne disait pas « J’ai besoin de toi donc tu dois manger ma haine ».
C’est très important comme point de départ. On voit là sa filiation avec Mélanie Klein.
Ainsi les pensées primitives (ou protopensées), issues des sensations, sont des objets mauvais dont il faut que le nourrisson se libère.
Et c’est ici qu’intervient la question lancinante : « Comment s’en débarrasser ? » Or l’expérience réelle de la présence du sein procure au nourrisson l’occasion de se débarrasser de ce mauvais sein. La mère ne dispense pas seulement l’aliment, elle sert aussi de contenant pour tous les sentiments de déplaisir (mauvais sein) du nourrisson. C’est-à-dire qu’elle reçoit les manifestations de déplaisir de l’enfant sans se venger, elle les transforme, et intègre ses cris d’insatisfaction de besoin ou de rage : l’enfant « expulse » dans la mère ce qu’il sent de mauvais, c’est-à-dire ce qui lui manque. Voilà la notion véritable de « contenant », qui n’est pas un simple accueil bon enfant, si j’ose dire. C’est recevoir le mauvais, l’insatisfaction, afin que l’enfant puisse jouir de la satisfaction.
Quand Winnicott dit que le patient doit d’abord détruire l’objet (l’analyste) pour pouvoir ensuite l’utiliser, c’est exactement de la même choses qu’il parle (l’utilisation de l’objet, dans Jeu et Réalité).
Le « mauvais sein » est en somme le sein qui manque, le besoin de sein.
L’élimination du mauvais sein dans la mère constitue l’expulsion d’un élément beta au moyen de l’identification projective, ce qui donne permet l’intégration des éléments alpha. Voilà la bible des kleiniens, revisitée par Bion.
Mais la raison pour laquelle ils appellent tout ça « sein » dépasse mon entendement !
Les éléments beta et alpha sont des créatures de Bion, qui lui permettent peut-être de parler autrement qu’en termes de sein ? D’évacuer les seins, trop féminins, comme métaphore pour la noble chose que sont les pensées ? Et… peut-être en avait-il marre lui aussi des seins de Mélanie ?
Les lacaniens quant à eux parlent du manque comme constitutif du sujet, ce n’est pas si loin,mais c’est plus chic et moins farfelu dans un salon parisien.
Lacan, toujours allergique aux bébés, disait cela de manière plus « évoluée » :
« L’objet du désir n’est pas le même que l’objet de la satisfaction. »
Et on passe de la crèche au Harry’s Bar !
Mais il faut être prudent dans les « passerelles » : il ne faut pas confondre le manque et la frustration. Le manque chez Lacan est une coupure et non pas un état. Une fois de plus, Lacan est excellent pour penser la séparation !
Le sein qui a manqué à l’enfant constitue donc le mauvais sein, l’important étant de pouvoir se débarrasser du mauvais pour que le bon puisse lui parvenir.
Bion considère la tolérance à la frustration comme un facteur inné de la personnalité du nourrisson et comme un élément de grande importance dans le processus de la formation des pensées et de la capacité de penser. Vous voyez que ça n’a rien à voir avec le faux ami que pourrait être le manque ?
Face à la frustration, toute personnalité dispose de deux options. Si l’incapacité de supporter la frustration est grande, la personnalité tend à s’y soustraire par l’expulsion d’éléments beta : l’autre devient persécuteur, il est mauvais, incompréhensif, etc.
Inversement, une bonne capacité à supporter la frustration met en marche des mécanismes qui tendent à la modifier et qui, dans le cas du nourrisson, aboutissent à la production d’éléments alpha et de pensées qui représentent « la chose en soi ». La chose en soi est un concept assez abstrait. Kant est passé par là. Dans la terminologie de Bion, c’est désigné par la lettre O, comme originaire. Das Ding ? Cette question de « comment s’en débarrasser » (comment expulser le négatif) et celle de « comment transformer les éléments beta en éléments alpha » sont typiquement bioniennes et constituent le socle de sa vision thérapeutique de la psychanalyse. Y compris de la psychanalyse d’adultes.
WINNICOTT
Winnicott se préoccupe également de la naissance de la pensée chez l’enfant. Dans La crainte de l’effondrement, La pensée chez l’enfant : un autre éclairage (p.199), il dit :
« Il y a des bébés qui se spécialisent dans l’action de penser et cherchent à atteindre les mots ; d’autres se spécialisent dans des expériences auditives, visuelles et dans des souvenirs et l’imagination créative de type hallucinatoire ; et il se peut que ceux-là ne cherchent pas de mots. Ce n’est pas que les uns soient normaux et pas les autres. Dans une discussion, on ne peut pas se comprendre si l’une des personnes qui parlent appartient au type qui hallucine dans l’aire visuelle ou auditive au lieu de s’exprimer en mots. D’une certaine façon, les gens qui utilisent les mots ont tendance à se dire sains et les visuels ne savent pas comment défendre leur position lorsqu’ils sont accusés d’insanité. L’argument logique appartient réellement à ceux qui verbalisent. Le sentiment ou un sentiment de certitude ou de vérité ou de « réel » appartient aux autres. »
En somme, le réel est du côté du flash !
Et j’en arrive à ce dont j’ai parlé la dernière fois déjà : Winnicott dit que
« La psychanalyse a eu beaucoup de difficulté à s’adapter aux besoins de ceux qui voient et entendent d’abord et pensent en dernier […] »
Puis il arrive à ce constat proche de Bion, mais dit autrement. Il dit qu’au fur et à mesure du développement du bébé
« la compréhension de la mère cède le pas à l’aptitude de faire défaut dans son adaptation aux besoins du bébé. »
En fin de compte, c’est par rapport à ce manque de mère que tout va se jouer et là il rejoint Bion. Il dit :
« certains bébés s’y feront en pensant, et d’autres en ayant recours au fantasme et en prenant plaisir à l’expérience sur le mode imaginatif avant qu’elle ne devienne actuelle. »
Mais à l’inverse de Bion, Winnicott ne parle pas du négatif, pas de haine, pas de mauvais sein, son monde n’est pas paranoïaque, son monde est un monde effondré.
Car si cette privation de réponse maternelle survient trop tôt, le bébé survit au moyen de l’esprit (l’intellect). Cette action de penser devient un substitut des soins maternels et de l’adaptation. Le bébé se « materne » lui-même. Mais de toute façon
« l’intelligence cache toujours une certaine déprivation. »
Et il poursuit :
« Autrement dit, il y a toujours, pour ceux dont les qualités intellectuelles ont été exploitées, la menace d’un effondrement. »
Voilà où Winnicott touche à la pathologie actuelle la plus aiguë. Nous vivons dans un monde de l’effondrement.
Je pense qu’à l’heure actuelle, tout le monde connaît ces textes de Winnicott… Je tenais à les rappeler, et surtout la fin de ce chapitre où Winnicott pose les deux modes de « pensées » qu’il a évoquées au début. A savoir le mode logique, langagier et l’autre, l’intuitif.
« La pensée logique prend du temps et peut ne jamais atteindre son but, mais l’éclair d’intuition ne prend pas de temps et aboutit immédiatement. Ces deux voies sont nécessaires à la science. »
Selon Winnicott, le mode « préverbal » est précieux (que je préfère appeler non-verbal car il subsiste chez l’adulte qui parle) :
« il nous est nécessaire d’être capables de penser sur le mode hallucinatoire. »
On peut se demander pourquoi ce mode archaïque et hallucinatoire nous est nécessaire, ce mode que j’avais aussi appelé la pensée-éclair.
Cela est nécessaire dans toute recherche, dans la création, mais aussi en analyse, car c’est la pensée qui n’obéit pas au discours constitué. Est-ce que la pensée logique ne serait pas étouffante et trop « sévère », à l’instar d’un père du même nom ? Et la pensée-éclair, la pensée hallucinatoire, plus proche d’une symbiose maternelle ?
Je fais l’hypothèse que c’est par cette voie que nous accédons à notre monde intérieur, conscient et inconscient, et que s’opèrent les transformations en analyse.
Winnicott donne là une clé pour certaines pathologies, et on peut se demander si l’intervention d’un père séparateur peut venir pallier ce risque d’effondrement, ou s’il le précipite quand il intervient trop tôt.
Remarquez que, là encore pas plus que chez Bion, nul père ne point à l’horizon de ce début de séparation !
Finalement, on pourrait dire que le bébé trouve les ressources en lui-même pour commencer le processus de séparation, à la condition d’avoir une mère pas trop effondrée, si elle s’y prête et n’est pas trop folle.
Ce qui sépare est la production de sa propre pensée. Ce qui sépare, c’est la pensée.
C’est donc à l’intérieur d’un même sujet que l’on trouve deux organisations de la pensée, où une forme peut prendre l’emprise sur l’autre. Il y a de la culpabilité à utiliser les compétences non logiques, intuitives, lorsque l’on possède de façon relativement développée l’autre compétence, celle qui privilégie la logique, et le discours. C’est de l’intérieur d’un sujet lui-même que peut alors s’exercer l’emprise sur la part subtile et hallucinée, qui est en rapport avec le « réel » et l’intuition. Lacan disait : « Ce qui résiste c’est le discours ». Vous voyez comment on peut utiliser pour lui faire dire ce que l’on veut, comme à tous les auteurs riches et prolifiques.
C’est justement par rapport aux discours constitués, qui ont tous tendance à exiger la soumission, voire l’adhésion, que je vais poser l’importance du désir de séparation.
Et l’on peut émettre l’hypothèse suivante : la pensée telle que la conçoit Winnicott ou Bion, pourrait être en fin de compte un équivalent du père symbolique selon Lacan.
MANQUE DE PERE
Vous aurez remarqué à quel point toutes ces ébauches d’éloignement de la mère, de la substitution de la pensée à l’absence maternelle, comme tout cela manque de père chez nos amis anglo-saxons.
Bion et Winnicott se débrouillent pour que l’enfant se sépare de la mère, en quelque sorte par ses propres forces. Il n’est jamais question de l’intervention d’un tiers. Peut-être est-ce exagéré. Dans la plupart des cultures, il y a une instance externe, un rite une cérémonie, qui sépare l’enfant de la mère, mais cela se passe beaucoup plus tard. Je pense qu’il y a un problème chez les occidentaux, ou tout simplement un problème des sociétés monothéistes. Pourquoi veut-on séparer le tout petit enfant de sa mère ? N’est-ce pas suffisant au moment de la puberté, comme cela se fait dans la plupart des sociétés dites primitives ?
Quelle mouche a piqué Lacan pour qu’il nous serve la constitution du sujet au travers de l’arrivée du père dès le Stade du Miroir, c’est-à-dire entre 6 et 18 mois ! C’est une absurdité que personne n’ose contester. Bien sûr, la présence d’un homme pour la mère est bienfaisante et lui permet d’être moins sur le dos de l’enfant, donc de permettre à l’enfant de « penser » au lieu de jouir de la satisfaction immédiate de ses demandes.
En revanche, si l’on pense au scénario de la Vierge Marie avec son enfant dans les bras regardant vers le haut, là où officie le Père éternel, alors on conçoit que cela doit avoir lieu très tôt. Pour Freud, cela se situait à un autre niveau, et il ne parlait pas tellement de la Loi. Son petit Œdipe râlait parce que sa mère ne pouvait pas satisfaire ses appétits sexuels et se détournait de lui. Il y avait du sexuel plus que de la loi. Il était sexuellement privé de sa mère, ce qui se conçoit, mais il restait assuré de son amour et de son intérêt, surtout si c’était un fils. Tout le monde s’accorde pour rire à la pensée du petit Sigi adoré de sa mère Amalia. Pourquoi personne n’ose rire du petit Jacquot et de sa maman ? Probablement parce que c’est une histoire pas drôle. Par ailleurs, on sait maintenant pourquoi les mères de Winnicott sont toujours seules, les nurseries winnicottiennes asexuées. Sa biographie nous le dit.
A chacun sa vie, mais à nous la liberté de penser aux théories comme à des narrations qui viennent là où, chez leurs inventeurs, quelque chose fait mal.
Un réel qui ne peut se dire et cherche une fable comme récit plausible. La théorie est le Virgile de nos Dante aux enfers.